Alya Mooro a une « gueule de bois de vulnérabilité », ce stress que l'on ressent au moment où l'on décide de se dévoiler complètelent. C'est un terme inventé par l'auteure Brené Brown et Alya explique que le concept résonne vraiment avec ce qu’elle a ressenti à la publication de son premier livre, The Greater Freedom: Life as a Middle Eastern Woman Outside the Stereotypes (La grande liberté : La vie d'une femme du Moyen-Orient en dehors des stéréotypes).
Née en Égypte et ayant grandi à Londres, Alya raconte dans son livre son quotidien, ses pensées, ses émotions et le conflit qu'elle a ressenti au moment d'écrire sur ce qu'est l'identité, particulièrement pour les jeunes femmes prises entre deux cultures. « Je me suis retrouvée célibataire à 26 ans après une relation longue et j'ai remarqué la présence d'une voix — une voix qui me disait, d'une certaine manière, ce que la culture égyptienne attendait de moi — qui me disait ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire de mon corps, de ma liberté. Cela m'a vraiment donné envie d'explorer cette voix était et de comprendre comment elle avait affecté ma vie, raconte Alya à Refinery29. « En outre, je suis devenue beaucoup plus consciente des stéréotypes entourant les femmes du Moyen-Orient et cela m'a profondément dérangée qu'ils soient si réductrices, qu'il n'y ait pas de récit auquel je puisse m’identifier. J'ai alors ressenti le besoin de contribuer à la conversation.
La pression autour de l'apparence, le féminisme, les attentes relationnelles et le fait d'être « techniquement musulmane » : Alya défait au fil des pages le mythe selon lequel elle devrait choisir entre ses identités occidentale et arabe. Mais elle confie que de tous les sujets abordés, écrire sur le sexe s’est avéré plus difficile. Il y a deux chapitres « sur la virginité et comment la honte autour de la sexualité est profondément enracinée chez les femmes — dans la culture moyen-orientale mais aussi de manière générale — parler si ouvertement de choses dont je ne suis pas censée parler, et encore moins faire puis raconter publiquement, ça m'a fait peur », explique t-elle.
Mais je suis de celles et ceux qui croient qu’on peut changer le monde par l’exemple, et ce que j'avais à dire était trop important pour laisser la peur l'emporter. Si Alya avait eu ce livre quand elle était petite, elle pense que cela aurait probablement changé son expérience. « Je pense que j'aurais ressenti beaucoup moins de honte, par exemple. J'aurais eu l'impression qu'il y avait d'autres personnes qui faisaient des erreurs et qui, tout comme moi, essayaient d'apprendre de celles-ci, » dit-elle.
« Je pense que je suis désormais beaucoup plus à l'aise avec ce que je suis. Ecrire ce livre m'a aidée à délier tant de choses et à trouver la paix. Cela m'a aussi aidée à me libérer du poids de ce jugement invisible d'une certaine façon. J'ai tout dit et je n'en ai pas honte. Il n'y a ainsi rien à juger. »
Le conseil d'Alya à tou·te·s celles et ceux qui cherchent à se frayer une place en dehors des stéréotypes culturels ? « Ayez le courage de savoir vraiment ce que vous voulez et ce en quoi vous croyez, et laissez cela guider vos actions. Faites confiance à votre instinct et tracez votre propre route. »
Le texte qui suit est un extrait du « Chapitre 8 : Quand vous êtes censée vous marier dès que possible » du livre The Greater Freedom: Life as a Middle Eastern Woman Outside the Stereotypes d'Alya Mooro.
Je m’en suis récemment remise à mes Stories Instagram où, en réponse à un récent événement de la culture pop, j'ai exprimé avec passion les opinions que je considère comme vraies : les femmes ne sont pas la propriété des hommes, elles sont autorisées à afficher l’image qu'elles veulent et à se comporter comme bon leur semble. Leurs actions n'ont pas besoin d'être approuvées par « leurs » hommes.
Et puis j'ai posté une autre vidéo, disant que ma mère allait sans doute m'appeler d'une seconde à l'autre, pour me reprocher d’avoir exprimé mes opinions sur un forum public, et me dire qu’à cause de ça, ça allait être plus dur de « me trouver un mari ». L'implication étant que ce « quelqu'un » serait arabe et qu'il s'offusquerait donc de mes fortes opinions. Ceci ignore, bien sûr, l'hypothèse que je voudrais même être avec quelqu'un qui me jugerait négativement pour avoir eu des opinions fortes en premier lieu.
« Oui, mais pourquoi devrions-nous obligatoirement épouser un homme arabe ? Et pourquoi devons-nous prétendre de croire en des choses auxquelles nous ne croyons pas vraiment, juste pour avoir un homme ? m' a répondu l'une de mes followers du Moyen-Orient. » Pourquoi, en effet.
Je dois admettre qu’en fin de compte ma mère ne m'a pas appelée et n'a fait aucun commentaire sur la question — cette fois, mais elle l'avait déjà fait à plusieurs reprises, et elle a récemment commencé à me dire que j'étais trop dure, trop têtue, et que j'allais devoir faire quelques compromis sinon je ne trouverai personne. Mais je ne crois pas que ce soit juste. Je ne crois pas qu'il faille être soumis·e pour être aimé·e. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'avoir deux versions de soi-même ni même qu'il soit viable de maintenir une telle façade pendant si longtemps.
Alors que mon père m’a toujours conseillé d'attendre le plus longtemps possible avant de me marier, il représentait encore une fois l'anomalie dans une mer de voix qui se font de plus en plus forte et persistante avec l'âge.
Le mariage est une norme sociale largement acceptée dans le monde entier, mais dans de nombreuses cultures, comme au Moyen-Orient, on inculque dès le plus jeune âge aux jeunes gens que le mariage est un rite de passage inévitable vers l'âge adulte et qu’on devrait tout faire pour qu’on nous passe la bague au doigt, le plus tôt possible.
C'est pour ces raisons que beaucoup d'autres « conditions » semblent également s'enraciner : être jolie et de comporter de manière respectable : en gros être une « bonne fille arabe ». C'est pour cette raison, en fin de compte, que vous devez coller à cette version « idéale » de la femme : parce que c'est ça qui va vous permettre de décrocher à un « bon » mari, arabe, ça va de soit. Un homme qui prendra soin de vous et vous donnera la vie que vos parents avaient, et celle que leurs parents avaient avant eux.
Les garçons, eux, ont le droit de faire des erreurs, de courir après les filles, et de coucher comme bon leur semble. Cela n'a aucune influence sur leurs perspectives de mariage ; ça serait même le contraire. On leur apprend à avoir une personnalité forte et à se préparer à la dure vie de responsabilité et d'autorité qui les attend.
Mais ces attentes envers les femmes ne s'arrêtent pas après le mariage ; on s'attend ensuite à ce qu'elles deviennent des épouses respectables. Une de mes amies qui s'est mariée récemment et mène une vie relativement indépendante — en ce sens qu'elle sort avec ses amies et voyage parfois sans son mari — s'est fait dire par sa mère d'arrêter de le faire car cela pourrait causer des torts à son époux.
C'est un point également soulevé par Sondos : « Plus jeune, lorsque je demandais à ma mère si je pouvais faire quelque chose, elle me répondait : « C'est haram », mais quand je posais la même question à mon père, il disait : « Quand tu seras mariée, tu pourras faire ce que tu veux ». Donc, dans mon esprit, « haram » signifiait « pré-mariage », et non « interdit », nous confie-t-elle. En grandissant, j'ai réalisé que ce qu'il voulait dire, c'était : « Quand tu seras mariée, tu pourras demander à ton mari si tu peux faire ces choses et on verra ce qu'il te répond. » En effet, beaucoup de femmes échangent les contraintes de leur père pour celles de leur mari.
Samira m'a raconté : « Je me bats tout le temps avec le mari de ma cousine parce qu'il la commande tellement et je ne peux pas laisser faire. Elle a presque peur de lui. Il dit des choses comme : « Je ne te demande pas, je t'ordonne.» Elle m'a parlé d'une occasion où elle et sa cousine s’apprêtaient à sortir dîner avec des amies lorsque son mari lui a demandé de lui préparer à dîner. « Qu'est-ce que je vais manger ? » lui-a-t-il demandé. A la grande stupeur de Samira, sa cousine a enlevé sa veste et lui a préparé à manger. C'était son devoir, après tout.
La pression d’être une bonne épouse dépend de qui vous épousez », m'a confié Shahenda, une Irakienne de 36 ans qui est née et a grandi à Londres. Je n'ai pas eu de chance de ce côté là — au point que rien de ce que je faisais n'était suffisant ni apprécié. J'ai travaillé d'arrache-pied pour mes enfants, pour ma maison et pour les besoins culinaires de mon mari, sans jamais recevoir le moindre signe de reconnaissance, pas le moindre merci », a-t-elle poursuivi. Les femmes devraient enseigner à leurs fils que le travail domestique n'est pas un travail de femme, que cela part du cœur et que c'est fait avec amour, et c'est quelque chose qu'il faut chérir et apprécier.
La famille de mon ex-mari avait certainement des attentes quant au type d’épouse que je devais être», m'a raconté Hiba, une Libyenne de 31 ans qui est née et a grandi à Londres. Un soir, nous étions tous ensemble pour l'Aïd. Mon mari est arrivé et quelqu'un a fait une remarque sur sa chemise froissée. Sa mère m'a demandé pourquoi je ne l'avais pas repassée et a été vraiment insultée et choquée quand j'ai ri et dit que je n'avais pas à repasser ses vêtements.
« Le mariage, ce n’est pas une amitié ou un travail d'équipe », a-t-elle poursuivi. « C’est avant tout un devoir, pour moi comme pour toi. » Pendant longtemps, j'ai adhéré à cette idée, dans une certaine mesure, à cause de la pression de la société et de la peur de perdre mon mari, et qu’il demande le divorce. »
La vérité, c’est que les hommes peuvent faire à peu près tout ce qu'ils veulent. Dans de nombreux pays arabes, la loi autorise les hommes à épouser jusqu'à quatre femmes, mais ce n'est pas vraiment quelque chose que les gens font dans mon milieu. Ceci dit, on s’attend à ce que les hommes soient infidèles et c’est largement accepté par la société.
« Quand j'ai découvert pour la première fois que mon mari me trompait, ma mère et mes amis traditionalistes m'ont dit que je devais contrôler mes émotions, réfléchir à ce que j'avais fait de mal », m'a dit Halima, une Egyptienne de 40 ans. « Ma mère m'a même dit que j'étais trop dure avec lui, que je ne lui parlais pas avec assez de douceur. Non pas qu'elle pensait que ce qu'il avait fait était correct, mais que c'était ma faute s'il l'avait fait en premier lieu », a-t-elle poursuivi. « C'est quand même fou. C'est lui qui m’a trompée, mais c’est moi qu’on montre du doigt. »
Je pense que parce que les hommes arabes sont bien souvent les pourvoyeurs de la famille, on s'attend à ce que la femme apporte elle aussi sa contribution », explique Hiba. Si votre mari vous trompe, on pourrait se demander si ce n’est pas parce que vous vous êtes laissée aller, par exemple, et donc, vous n’auriez pas respecté votre part du marché, pas étonnant, alors, qu'il finisse par vous tromper.
Il est certain qu'être une bonne épouse tient en partie au fait de respecter sa « part du marché » et de tolérer ces transgressions. Le divorce est souvent considéré comme immoral et entretenir son mariage est un projet de vie.
Après mon divorce, on m’a traitée comme si j’étais une ratée », explique-t-elle. Peu importe les circonstances, c'est de votre faute, pas de la sienne. « J'avais honte de ne pas avoir réussi à sauver mon mariage et de ne pas réussir à prendre sur moi, même si j'étais malheureuse.
Lorsqu'on parle de divorce dans le monde arabe, trois forces entrent en jeu : la religion, la charia et la culture. Les lois sur le divorce dans toute la région sont inégales pour les hommes et les femmes, les femmes étant victimes de discrimination dans les décisions relatives à la garde et à la tutelle des enfants. En Égypte, par exemple, les lois stipulent que les femmes ne peuvent conserver la garde de leurs fils que jusqu'à l'âge de sept ans et celle de leurs filles jusqu'à neuf ans, après quoi les enfants doivent vivre avec leur père. En Jordanie, les mères doivent également être considérées comme dignes de confiance et « capables d'exercer leurs fonctions » et ne sont pas autorisées à se remarier.
C'est sur les femmes que l'opprobre entourant le divorce est le plus fort. Dans une enquête menée auprès de 2 007 personnes interrogées dans le monde arabe, on a constaté que les femmes divorcées étaient étiquetées comme non désirables ou prise en pitié, et étaient généralement accusées de ne pas avoir réussi à satisfaire leur ex-mari. Mais à mesure que les taux de divorce augmentent dans la région et que les temps changent, de nombreuses femmes s'attaquent, toujours plus nombreuses, à la stigmatisation. En Arabie saoudite, les fêtes pour célébrer les divorces sont devenues très populaires.
Peut-être en partie par opposition à ce qui avait été décidé pour moi, je me suis longtemps opposée à l'idée du mariage. Je n'ai jamais été la fille qui rêvait de mariage, d’enfants et tout le tralala. Pire, ces choses là ressemblaient presque à une prison pour moi, et je n'ai jamais compris pourquoi certaines voulaient tant se précipiter vers l'autel. J’aime faire des rencontres, mais c'est quand je suis célibataire que je me sens le plus en phase avec moi-même. J'ai travaillé dur pour bâtir une vie que j'aime et pour profiter de la liberté d'explorer mes propres désirs et besoins, et cela semble se produire plus facilement lorsque je suis seule. Bien que j'aime être en couple, cela n'a jamais été le but ultime, et je n’ai jamais vu le mariage comme une fin en soi. Je ne me sens pas prête pour une relation, et ce depuis déjà quelques années — et encore moins pour une relation qui est censée durer jusqu'à ma mort. La plupart de mes amis les plus proches sont célibataires. Nous nous rencontrons et parlons de toutes sortes de choses : carrières, intérêts, voyages, aspirations, amitiés, garçons. Et pour l'instant, ça me va bien comme ça.
The Greater Freedom: Life as a Middle Eastern Woman Outside the Stereotypes de Alya Mooro, 14,11 €.