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Pourquoi se comporte-t-on tou·tes comme des c**nards en ce moment ?

Photo by Johnér/Eyeem.
Bonjour, avez-vous en ce moment l’impression de vous comporter comme un véritable connard (ou connasse), et ce sans raison apparente ? Vous êtes constamment hors de vous ? Continuellement sur le point d’aboyer sur des inconnu·es dans la rue ? Incapable d'arrêter d'étaler votre vie "parfaite" sur les réseaux tout en vous permettant de juger celle des autres ? Bienvenue dans le Cercle des connards & des connasses ! Malheureusement, ce n'est pas aussi sympa que ça en a l'air.   
On le sait, nous vivons en ce moment une période de grands contrastes. D'une part, la crise fait ressortir le meilleur de l'humanité. On nous présente, chaque jour, des raisons d'applaudir, d'acclamer et de pleurer devant la pure bonté de nos concitoyens. Et pourtant, sur le plan personnel, certain·es d'entre nous ont le sentiment d'être devenus une pire version d'eux-mêmes. Pompeux·ses, pédant·es. Plein·es de jugement. Sur la défensive. Susceptibles de craquer pour une broutille. J'ai passé une quinzaine de jours à me demander pourquoi mes règles venaient si tôt, avant de réaliser que ce n'était pas le cas. C’est simplement que le syndrome prémenstruel, c'est devenu mon état permanent. Le "syndrome de rage pandémique".
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"J'ai remarqué que je me montrais beaucoup plus chiante envers mon partenaire en ce qui concerne les tâches ménagères", admet Jess Commons, cheffe de la rubrique Lifestyle chez Refinery29. "Je lui pointe du doigt les parties de la maison qu'il a oubliées de nettoyer en roulant les yeux et je me plains de lui à mes amis sur Zoom, sur un ton moqueur."
Ma boîte de réception confirme que Jess est loin d'être la seule à le faire. Alors que nos vies en ligne ne sont que rayons de soleil et arcs-en-ciel, nos groupes WhatsApp sont devenus de véritables petites cellules de frustration. J'ai parlé à mes ami·es des gens stupides au supermarché, des gens prétentieux sur Twitter et du barbecue décevant que j'avais préparé la veille. Ils se sont déchaînés contre les e-mails trop familiers qu’ils avaient reçu, les voisins trop sensibles, les membres de la famille trop autoritaires et tout ce que leur colocataire avait ou n'avait pas fait dans la salle de bain. Et puis on se sent coupable de se plaindre autant et de cette rage qu'on ressent sans pouvoir la contrôler. "J'espérais que cette expérience m'aiderait à devenir une personne plus généreuse et plus tolérante", reconnaît une amie, "mais non. J’en suis à reprocher aux gens de se poser sur un banc". 

Vous êtes un connard si vous vous plaignez alors qu'il y a des gens qui sont apparemment plus mal lotis que vous, mais vous êtes aussi un connard si vous humiliez la personne qui se plaint.

En ligne, la tentation du "et qu'en est-il de" nous fait monter au créneau. Vous êtes un connard ou une connasse si vous vous amusez bien en confinement, postant des photos de vos vases de pivoines et de vos dîners gastronomiques élaborés - mais vous êtes aussi un connard ou une connasse si vous vous moquez des gens qui cherchent simplement un peu de réconfort, une chose à laquelle se raccrocher. Vous êtes un connard ou une connasse si vous vous plaignez alors qu'il y a des gens qui sont apparemment plus mal lotis que vous, mais vous êtes aussi un connard ou une connasse si vous humiliez la personne qui se plaint. C'est une troisième loi de Newton : pour chaque action de connard, il y a une réaction égale et opposée. 
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Les personnes qui méprisent les règles et mettent des vies en danger sont des connards. Mais ceux qui surveillent les moindres gestes des leurs voisins sont aussi des connards. Les personnes qui se mettent en travers des trottoirs sans respecter la règle des deux mètres sont des connards - mais je le suis aussi pour marmonner des obscénités à leur égard en faisant un grand numéro tout en empiétant un peu sur la route. Les personnes qui dévalisent les supermarchés sont des connards égoïstes, mais il en va de même pour les personnes qui n’ont pas pris le temps de réfléchir à ce que ces pauvres personnes anxieuses peuvent traverser. 
"Peut-être", ai-je annoncé l'autre jour à une amie sur un ton révélateur, "que tout le monde est juste 30 % plus abruti en ce moment. Et on devrait mutuellement s'accorder cette marge ?"
Selon Sarah Lewis, psychologue en chef du cabinet de conseil psychologique Appreciating Change, il faut s'attendre à une augmentation des comportements agressifs, et c’est lié à l'évolution. "La situation actuelle représente une menace très réelle", explique-t-elle. "Lorsque nous nous sentons menacés, notre champ de la raison diminue. Notre capacité à être flexible, à être ouvert, à nous intéresser à la nouveauté, à être sociable ; toutes ces choses diminuent, et notre seule préoccupation devient notre propre survie. Nous revenons à l'idée de "combattre, fuir ou se figer". Mais bien sûr, on ne peut pas combattre un virus physiquement, et on ne peut pas le fuir non plus - donc ces émotions difficiles trouvent d'autres exutoires". 
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D'autres exutoires, comme se disputer inutilement avec son partenaire pour savoir lequel d'entre vous sait le mieux peindre les murs (moi, parce que j'ai un oeil pour ces choses-là). Je sais ce que vous pensez. Que je suis une connasse de dire que j'ai des murs et de la peinture, et un partenaire, alors que d'autres n'en ont pas.
Alors que certains d'entre nous choisissent de se battre, d'autres choisissent de fuir. " Cela veut dire que vous ignorez la menace ", explique Lewis. "Se dire, ce n'est pas si grave, je suis jeune, je n'ai pas de conditions sous-jacentes, etc... c'est simplement un autre mécanisme de survie. Mais il est facile de voir comment les deux peuvent s'opposer l'un l'autre". Alors peut-être que la personne qui se heurte à votre espace personnel sur le trottoir n'est pas un monstre égoïste après tout. Elle est juste en mode fuite.

Pour chaque personne qui trouve que sa vie va beaucoup trop vite en ce moment, il y a une autre personne qui a l'impression que la sienne est en attente pour une durée indéterminée. Et ces deux situations sont difficiles. Ces deux situations ont le potentiel de vous transformer en connard.

Jess a eu une révélation similaire à propos de sa conduite domestique. "J'ai réalisé que c'est une question d'anxiété et que je veux garder le contrôle de mon espace, ce qui est pratiquement tout ce que je peux contrôler pour le moment, alors je vois chaque chaussure laissée au milieu du couloir comme une attaque personnelle", dit-elle. "Je pense que le fait de réaliser pourquoi on a ce genre de comportements abrutis m'aide un peu".
Une fois que nous avons compris pourquoi nous agissons comme des abruti·es, l'étape suivante consiste à apprécier pourquoi les autres le font - en d'autres terme, ce que les adultes appellent l'empathie. Au lieu d'être confronté à l'idée, comme le dit Lewis, que "d'autres personnes nous font du tort en étant mieux lotis", rappelons-nous de la loi de Newton et prenons une minute pour réfléchir à notre connerie égale mais opposée. 
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Pour chaque personne qui s'ennuie à crever, il y a une personne qui trouve que votre chômage partiel a comme des airs de vacances aux frais des contribuables. Pour chaque personne enfermée avec de jeunes enfants qui ne peut pas supporter de voir une autre photo d'un banana bread maison, il y aura une personne qui essaiera de remplir des journées trop calmes après l'annulation d'une FIV ou le report de projets de maternité. Pour chaque personne qui trouve que sa vie va beaucoup trop vite en ce moment, il y aura une autre personne qui aura l'impression que la sienne est en attente pour une durée indéterminée. Et ces deux situations sont difficiles. Elles méritent toutes deux de la sympathie et de la compréhension. Ces deux situations ont le potentiel de temporairement vous transformer en connard ou en connasse.
"Trouvez des moyens de transformer votre humeur. Faites le bilan de vos privilèges. Déterminez ce pour quoi vous pouvez encore être reconnaissant·e. La gratitude est une émotion qui nous permet de passer d'un état de colère à quelque chose d'un peu plus productif", explique Lewis. Sans surprise, elle recommande de limiter votre exposition aux actualités et aux réseaux sociaux, et suggère de vous concentrer sur autre chose pour évacuer les tensions en toute sécurité. "Il est souvent difficile de s'y mettre à cause du trop-plein  d'agitation et de colère, mais essayez de trouver une activité qui vous permettra de faire le vide", conseille-t-elle. "Quelque chose de suffisamment stimulant pour vous tenir bien occupé·e." 
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Comme ces joggeurs inconsidérés qui monopolisent la moitié du trottoir ? "C'est exactement ce qu'ils font. Un pas après l'autre."  
Mais si l'exercice physique est une mesure trop pénible pour vous, vous serez heureux·se d'apprendre que Lewis recommande également le meilleur des remèdes. "L'humour est un facteur essentiel dans la gestion de l'humeur. Trouver des moyens de rire ne consiste en rien à un manque de respect", précise-t-elle. "C'est un processus thérapeutique. Nous en avons besoin, cela nous permet de retrouver plus rapidement forme de normalité dans nos vies".
Efforçons-nous donc de garder notre sens de l'humour et de foutre la paix aux autres, quelle que soit leur niveau de connerie. Plus j'y réfléchis, plus je me dis que c'est la meilleure idée que j'ai eue de tout le confinement : une marge de 30 % de légère bêtise, à utiliser comme bon nous semble. Vous n'avez pas le droit de me reprocher d'être une connasse, et je n'ai pas non plus le droit de vous reprocher votre propre connerie. J'espère que ce que je dis a du sens. 
Et si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à le garder pour vous.
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