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Micro-agression, gaslighting : de l’importance de nommer les comportements racistes

PHOTO COLLAGE : ANNA JAY
Dans le cadre de mon métier de thérapeute spécialisée dans les violences domestiques, j'ai appris très tôt qu'un acte abusif doit être mesuré à l'aune de son impact sur la personne visée. Lorsque nous appliquons ce schéma au racisme, l'examen des effets potentiels à court et long terme sur le bien-être d'une personne nous encourage à considérer les interactions racistes comme indicatives de schémas de violence plus larges. 
Souvent, dans les échanges ouvertement discriminatoires, les rôles de la victime et de son agresseur sont clairement identifiables : une personne se montre raciste envers une autre personne. Un très bon exemple : l'abject courrier alternant injures racistes et menaces de mort adressé à Mohamed Boudjellaba, le maire de Givors, près de Lyon. Avec les microagressions, en revanche, l'acte souscrit subtilement à un comportement socialement acceptable et la contestation du racisme devient alors plus complexe. 
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Une micro-agression est un comportement d'apparence banale, qui, intentionnellement ou non, communique l'hostilité, la discrimination ou les préjugés à l'égard d'un individu et d'une communauté. Pour les personnes racisées, le fait de mettre un nom sur cette pratique permet d'exprimer ce sentiment familier qui se manifeste lorsque vous êtes pris pour cible de manière "subliminale". Théorisé aux Etats-Unis à la fin des années 1960, le concept est encore tabou dans l'Hexagone. Pour les chercheurs, il est pourtant important de sensibiliser l'opinion à un mal invisible. Les registres dans lesquels se manifestent ces micro-agressions sont divers et peuvent être divisés en différentes catégories : les micro-invalidations (déni subtil des ressentis, expériences ou pensées d'une personne), les micro-insultes (commentaires verbaux et non verbaux qui ont pour effet de rabaisser ou de discréditer) et les micro-attaques (attaques verbales ou non-verbales explicites). 
Les micro-agressions peuvent être difficiles à confronter : leur apparente innocence sert de bouclier à leur auteur, qui est souvent perçu comme injustement victime. Les personnes racisées s’entendent souvent dire qu’elles réagissent de manière excessive, qu'elles sont trop sensibles ou qu'elles sont en fait les agresseurs. 
Il s'agit là d'une forme de gaslighting (ou "détournement de circonstances") raciste, un outil insidieux utilisé pour manipuler une personne par des moyens psychologiques afin de mettre en doute sa santé mentale et sa perception de la réalité, dans le but de maintenir une forme de pouvoir et de contrôle. Le gaslighting minimise et sape les expériences, les pensées et les sentiments d'une personne par des méthodes de déni, de rejet et d'inversion des rôles. 
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Parmi les exemples courants de gaslighting raciste, on compte des phrases telles que : "Je ne suis pas raciste, mais...", "Et le racisme anti-blanc alors ?", "Ça va, je blague" et "Je ne vois pas les couleurs". On entend également des choses dans les lignes de : "Le racisme, c'est fini" ou "Tout n'est pas une question de couleur de peau". Récemment, en réponse au mouvement antiraciste aux États-Unis, on a pu entendre "All lives matter" (Toutes les vies comptent.), "Ca ne sert à rien de combattre la haine par la haine" et "On ne devrait pas se concentrer sur les défauts de [insérer la personnalité ou événement problématique]"

Ces personnes ne peuvent pas exprimer leurs émotions ouvertement et les faire reconnaître et valider. Elles gardent souvent leurs sentiments pour elles-mêmes et intériorisent les pensées critiques, négatives et raciales.

Dr Roberta Babb
"Je ne vois pas les couleurs" est un exemple particulièrement répandu. Refuser de voir la couleur, c'est effacer l'histoire de toute une communauté et rejeter, invalider et réduire immédiatement au silence les expériences de ces individus. Cela positionne l'auteur comme moral, alors que la victime se contenterait de "crier au loup". 
Sur le plan sociétal, il n'y a pas de plus grand catalyseur du phénomène de gaslighting raciste que les médias. C'est ce qu'on a pu constater tout récemment lorsque les émeutes de Londres menées par les partisans de la suprématie blanche ont été présentées comme des "échauffourées" tandis que les émeutiers, qui ont attaqué la police, scandé des insultes racistes et fait des saluts nazis, ont été qualifiés de "contre-manifestants" par certains médias. Parallèlement, les manifestants de Black Lives Matter sont qualifiés de "voyous sans cervelle" pour exercer leur droit de protester. L'influence des médias normalise ce récit de dynamique de pouvoir inégale, de suprématie blanche et d'inégalité raciale. 
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L'impact de ce discours sur la santé mentale d'un individu racisé peut être gravement préjudiciable. Selon le Dr Roberta Babb, psychologue clinicienne à Third Eye Psychology, les effets de ce type de gaslighting peuvent inclure "le sentiment d'être marginalisé, privé de ses droits et déconnecté de sa communauté d'origine, ainsi que la méfiance envers les figures d'autorité". Les effets à long terme ne doivent pas être sous-estimés, prévient-elle. "Cela sape manifestement et secrètement le sentiment d'identité, l'estime de soi, la capacité d'action et la confiance d'une personne. Cela peut être émotionnellement pénible et déroutant et provoquer des sentiments d'anxiété, de peur, de tristesse, de culpabilité et de colère. Cela peut également donner à une personne l'impression que la situation est hors de son contrôle et lui donner un sentiment d'impuissance et de désillusion".
Dans les scénarios les plus pessimistes, le Dr Babb affirme que la personne qui subit ce phénomène peut avoir des difficultés à se fier à sa perception de la réalité, à son expérience personnelle et à ses connaissances, car tous ces aspects sont remis en question de l'extérieur. "Ces personnes ne peuvent pas exprimer leurs émotions ouvertement et les faire reconnaître et valider. Elles gardent souvent leurs sentiments pour elles et intériorisent les pensées critiques, négatives et raciales". Elle poursuit : "L'internalisation est un moyen de gagner un sentiment de contrôle, mais elle peut être autodestructrice, car les personnes perdent tout sentiment de stabilité et de certitude".

Reconnaître que vos sentiments sont légitimes, comprendre que le seul contrôle que vous avez est celui de vos actions et de vos réactions, reconnaître vos forces, votre courage, vos réactions et vos déclencheurs vous permettra de surmonter des situations difficiles

Josh Macnab
Réagir à cette forme de gaslighting place les personnes racisées dans une position difficile et parfois dangereuse. Jacquelyn Ogorchukwu Iyamah, créatrice de bien-être social, plaide en ce sens : "Il est important de ne pas se trahir pour préserver les sentiments d'autrui. Cela signifie qu'il est important de clairement énoncer ce qui s'est passé, expliquer comment ce comportement a été préjudiciable et partager comment nous aimerions qu'il change". Elle suggère "de dénoncer : signaler publiquement le comportement nuisible de la personne pour discuter de son comportement". Elle suggère également "de vous retirer de la conversation pour préserver votre énergie et votre tranquillité d'esprit, d'écrire exactement ce qui s'est passé pour que vous puissiez vous y référer si vous vous surprenez à mettre en doute la réalité, ou d'envoyer à la personne des ressources éducatives, et prendre vos distances avec la personne qui vous a mis dans cette situation pour limiter vos interactions avec elle". 
Josh MacNab, conseiller thérapeute chez Black Minds Matter et Roots Counselling, encourage chacun·e à préserver sa santé mentale en appliquant des actions cognitives importantes telles que "reconnaître quand vous êtes victime de gaslighting - il est plus difficile de vous manipuler si vous en êtes conscient·e, donc reconnaître que vous n'êtes pas le problème est essentiel". Il affirme que le fait de "reconnaître que vos sentiments sont légitimes, de comprendre que le seul contrôle que vous avez est celui de vos actions et de vos réactions, de reconnaître vos forces, votre courage, vos réactions et vos déclencheurs", vous permettra de surmonter des situations difficiles. "Cela peut signifier faire une analyse approfondie de votre cercle social. Le gaslighting est l'affaire de l'agresseur. C'est son sens de l'ego, du narcissisme et du contrôle que la victime subit".
Il est impératif de discuter ici de la responsabilité des personnes blanches afin de soulager les personnes racisées du fardeau que représente la négociation autour de la reconnaissance de cette manipulation mentale. Si vous lisez ceci et que pouvez vous identifier dans certains de ces exemples, c'est le moment de vous livrer à une introspection radicale, de vous engager à remettre en question vos préjugés intériorisés et la manière dont ils influencent vos interactions, et de contester les comportements racistes abusifs dans vos cercles sociaux. Comme dans toute relation abusive, il n'est pas de la responsabilité de la victime de changer son agresseur ou de résister à l'abus. Nous ne sommes pas obligé·es de rester dans des situations qui nous nuisent ; il est également de votre responsabilité de veiller à ne pas représenter une menace pour nous.
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