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Dépression saisonnière : comment ces femmes vivent l’hiver arctique

Je m'entretiens avec Polina Bublik depuis mon appartement de Londres, où le mépris pour le coucher du soleil à 16 heures, désormais de mise, est collectif. Mais à Longyearbyen, où Polina vit depuis trois années "inoubliables", le soleil est absent durant trois mois. C'est ce qu'on appelle la Nuit Polaire.
En Norvège, Longyearbyen se situe dans une vallée en forme de U, sur les rives de l'Adventfjorden. Située dans le Haut-Arctique, à 1 316 kilomètres du pôle Nord, cette localité constitue la communauté habitée la plus septentrionale du monde. Les glaciers ont sculpté le terrain en pics acérés, une vallée et un fjord, et l'exploitation du charbon a amené les premiers colons en 1906. Bien que Longyearbyen appartienne à l'archipel norvégien du Svalbard, ses nombreuses maisons pourraient tout aussi bien planter le décor d'un film de Wes Anderson.
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Photo by Polina Bublik
"LES OURS POLAIRES ATTAQUENT EXTRÊMEMENT VITE ET SANS PRÉVENIR. SORTIR DU CAMPEMENT UNIQUEMENT ACCOMPAGNÉ PAR UN GUIDE LOCAL AVEC FEU D'ARTIFICE", peut-on lire sur le site de l'office du tourisme du Svalbard. On estime à 3 000 le nombre d'ours polaires qui vivent dans l'archipel. Polina, photographe, est l'une des 2 417 résident·e·s humain·e·s. Ses photographies nous montrent des étoiles filantes, des pics montagneux couverts de neige et des fjords bleus qui changent de couleur au gré des glaces, mais elle parle d'une certaine monotonie dans son environnement arctique. "Le paysage du Svalbard est monotone comme partout ailleurs dans l'Arctique. Ici, on ne voit pas d'arbres, seulement l'horizon, les montagnes, l'océan et le ciel", dit-elle. Depuis ma rue animée par un marché, des épiceries de quartier nocturnes et des personnalités locales qui aiment faire retentir les tubes des années 80 en se baladant à vélo, je contemple un paysage ponctué par le vide.
Vivre dans l'obscurité de fin novembre à début février en compagnie d'ours polaires constitue certes un bon scénario de thriller à suspense, surtout pour les personnes qui ont déjà du mal à accepter qu'il fasse nuit à 16 heures. "Ma journée d'hiver habituelle est un long repos. Je bois beaucoup de café et de chocolat, je vérifie les prévisions météorologiques et je prépare mon matériel photographique. Beaucoup de citadins sont fatigués et ont du mal à se passer du soleil, mais je peux me permettre de dormir autant que je le souhaite. Pour moi, l'hiver à Longyearbyen, c'est un peu comme un Noël qui durerait plusieurs mois. C'est une période tellement agréable".
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Photo by Polina Bublik
L'apparition nocturne du plus célèbre spectacle de lumière du monde, associée au planning flexible de Polina, lui permet d'être volontairement noctambule. C'est en raison des aurores boréales que Polina s'est installée à Longyearbyen. Certains jours, elle ne sort de la maison que pour voir ces courbes vertes iridescentes.
Il existe un adage partagé par les âmes intrépides qui ont été élevées dans des climats plus froids, et Polina est tout à fait d'accord. "Il n'y a pas de mauvais temps, seulement des mauvais vêtements", dit-elle. Chaque nuit, Polina s'allonge, se met en position dans la neige et laisse son équipement faire le travail tandis qu'elle s'assoit en admiration. Son nez est légèrement glacé.
Mari Langehaug, une ancienne résidente de Longyearbyen, est également très active durant la Nuit Polaire. La jeune femme de 34 ans a du mal à dormir pendant ces mois, principalement en raison de son calendrier social chargé. "Longyearbyen est très fréquenté pendant l'hiver, du moins avant le coronavirus. Et par hiver, j'entends la saison obscure. À bien des égards, c'est encore l'hiver quand la lumière du jour fait son retour, mais à ce moment-là, tout le monde vit ses aventures pendant la journée. Pendant la Nuit polaire, tout le monde est coincé en ville, ce qui permet d'être plus sociable, de participer à des activités d'intérieur comme l'escalade et la gymnastique".
Cet état d'esprit positif - la passion de Polina pour les aurores boréales et l'engagement de Mari pour le sport et l'amitié - est lié à la faible occurrence du trouble affectif saisonnier (TAS) (ou dépression saisonnière) en Norvège. "Les symptômes du TAS sont similaires à ceux de la dépression, notamment une humeur sombre, une faible estime de soi, un état de léthargie, des troubles du sommeil et un sentiment d'anxiété. Si vous souffrez de dépression saisonnière, vos symptômes commencent généralement à l'automne chaque année. Ils peuvent être provoqués par un faible niveau de lumière du jour, des journées plus courtes et plus sombres et moins de temps passé à l'extérieur", explique Caroline Harper, spécialiste de la santé mentale chez Bupa UK.
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Kari Leibowitz, chercheuse en psychologie, a quitté sa Californie ensoleillée pour Tromsø - une ville norvégienne qui passe trois mois dans l'obscurité - pour comprendre pourquoi la Norvège compte relativement peu de cas de dépression saisonnière. Elle a interrogé 238 personnes du Svalbard, du sud et du nord de la Norvège, en partant de l'hypothèse que ceux qui vivent dans l'obscurité et à des températures plus basses recentrent leur pensée et conservent un "état d'esprit positif en hiver", ce qui conduit à des niveaux de bien-être saisonnier plus élevés. 
Caroline réitère que le fait de redéfinir la façon dont on voit les événements ou les saisons peut aider à changer votre façon de voir les choses. "Vous pouvez constater qu'avec le temps, vous n'avez plus cette association négative avec la saison hivernale. Recadrer les événements peut briser un cycle de pensées et vous aider à améliorer vos résultats, ce dont vous pourriez bénéficier pendant de longs hivers".
D'un point de vue pratique, elle recommande d'ouvrir les rideaux, de manger des aliments riches en vitamine D et en oméga-3, de contacter ses amis et sa famille pour obtenir leur soutien, d'ajouter des plantes à son espace de travail et de résister à l'envie de toujours faire de l'exercice à la maison - il vaut mieux sortir à l'extérieur quand on peut. "Même un jour nuageux fournira à votre corps la lumière dont il a besoin". Caroline note que les symptômes et le traitement de la dépression saisonnière varient d'une personne à l'autre, et qu'il peut donc être nécessaire de consulter votre médecin traitant. "Votre médecin va vous poser des questions sur votre vie quotidienne et vos symptômes et vous proposera le traitement qui vous convient. Il peut s'agir d'une aide personnelle, comme les changements de mode de vie mentionnés ci-dessus, la luminothérapie ou la thérapie cognitivo-comportementale".
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PHOTO BY SEQININNGUAQ QITURA LYNGE POULSEN
Pendant l'hiver à Nuuk, au Groenland, la capitale la plus septentrionale du monde, Seqininnguaq Poulsen (pronoms iel/they), 19 ans, et sa famille Kalaallit mangent la viande des animaux qu'ils ont chassés pendant l'été et l'automne. En décembre et janvier, Nuuk profite de quatre heures de soleil par jours, et certaines parties du nord du Groenland sont privées de lumière pendant quatre mois. L'obscurité ne convient pas à Seqininnguaq, qui souffre de dépression saisonnière. "Je remarque beaucoup de changements différents dans mon comportement et mon humeur. Je commence à être tout le temps fatiguée, je perds l'appétit, je dors beaucoup plus que d'habitude et je me sens généralement plus paresseuse". Après avoir souffert d'une grave dépression, l'activiste des droits des peuples autochtones trouve l'hiver "intense".
Outre un apport plus important en vitamine D et des promenades avec des ami·e·s, Seqininnguaq puise sa sérénité dans la créativité et l'expression artistique. Quand san humeur est particulièrement maussade, iel se tourne vers la peinture, les perles traditionnelles et la poésie pour explorer la santé mentale et critiquer le colonialisme. L'amour de Seqininnguaq pour la créativité et ses ami·e·s lea porte jusqu'au court été. "L'été à Nuuk est très agréable mais très court. La température moyenne est d'environ 10-20 °C, et le soleil ne se couche jamais vraiment, alors nous passons toute la nuit dehors. Cet été, mes ami·e·s et moi avons passé toute la nuit à jouer et à chanter dehors sous le soleil de minuit. Pendant l'été, on voit rarement des gens dans les rues de la ville parce qu'ils vont à la pêche, à la chasse, passent du temps dans leurs cabanes, cueillent des baies ou voyagent".
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Malgré plusieurs degrés de séparation (longitudinale), une profonde nostalgie de l'été semble être universelle. Les souvenirs de mon enfance en Australie - les vacances scolaires passées à faire du boogie boarding sur des plages ensablées - me permettent de traverser certaines des journées les plus sombres de Londres. Pour Violetta Samoilova, c'est la cueillette des mûres et les barbecues dans la toundra. Elle vit au bord de la mer Laptev à Tiksi, en Russie, la ville la plus septentrionale du monde avec plus de 5 000 habitants. Depuis sa création comme principal port maritime de l'Arctique à l'époque soviétique, la ville a connu un déclin démographique rapide.
Photo by Violetta Samoilova
La jeune femme de 23 ans est fière de sa ville natale russe, malgré son climat "arctique et rude", avec des températures pouvant aller de -26,7°C à -33,8°C en hiver. Il y fait nuit de la mi-novembre à février. Lorsque la région n'est pas balayée par des blizzards se déplaçant à une vitesse de 30 mètres par seconde, Violetta tire le meilleur parti des extrêmes. Enfant, elle descendait en luge des collines enneigées après l'école. Parfois, ses gants gelaient. "Les enfants d'aujourd'hui descendent aussi en luge dans les montagnes, ils jouent à chat dans la rue et, heureusement, ne passent pas leurs journées sur un ordinateur".
Naturellement, elle passe certains jours d'hiver à ne rêver que de soleil. "Pendant nos étés, nous allons dans la toundra pour des barbecues avec des parents ou des amis. En août, nous cueillons des champignons et des mûres. Mon moment préféré en été, c'est le soleil de minuit où il fait jour pendant 24 heures. Ces jours-là, on n'a pas envie de rentrer chez soi, on veut profiter davantage de la nature, respirer l'air frais et profiter de la mer".

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