Être une femme en situation de handicap sur Internet peut être dangereux. Nous subissons l'intrusion, le ridicule, les faux compliments et les discours violents. Nos photos sont utilisées à mauvais escient sur des posts de réseaux sociaux de type "freakshow" et "clickbait". Les articles écrits sur nous sont souvent gorgés d'"inspiration porn". Parfois, nos photos sont même censurées par les plateformes de réseaux sociaux.
En 2019, la journaliste britannique Dr Frances Ryan a rapporté que le harcèlement en ligne à l'encontre des personnes handicapées ne fait qu'augmenter, et qu'il n'est pas pris au sérieux.
"Je n'ai jamais aimé le terme 'vraie vie' pour signifier 'hors ligne'", a-t-elle écrit. "À une époque où les réseaux sociaux sont au cœur d'une grande partie des interactions humaines, et où un téléphone peut mettre le monde entier à notre portée, l'idée que ce qui se passe sur Internet est en quelque sorte 'moins réel' donne l'impression d'être à côté de la plaque".
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"Ce n'est pas seulement le cas pour les victimes de harcèlement en ligne ; des endroits comme Facebook et Twitter sont devenus des terrains propices à une haine bien réelle".
Je suis tout à fait d'accord : Internet, c'est la vraie vie. Pour moi, les réseaux sociaux sont une extension de mon lieu de travail. Et cela peut être peu sécurisé.
Je ne reçois pas autant de discours haineux en ligne, compte tenu du fait que je souffre d'une maladie de peau sévère et rare appelée ichtyose (qui rend ma peau rouge, écailleuse et douloureuse), et de la fréquence à laquelle je suis présente sur les réseaux sociaux. Mais il n'y a pas longtemps, j'ai reçu des e-mails horribles concernant ma difformité faciale et l'état de ma peau qui m'ont ébranlé.
Je crois qu'il faut dénoncer les discours haineux, ne serait-ce que pour partager le poids. Je ne souhaite pas endurer ça toute seule. Je prends toujours le temps de bloquer les adresses e-mail et les numéros de téléphone, mais je ne suis pas sûre que cela en vaille la peine.
Tout a commencé lorsque Rudrendra m'a envoyé une "lettre d'amour" de la part de son ami.
Rudrendra a écrit plusieurs e-mails :
"Salut, je m'appelle Rudrendra et je te suis sur Instagram. Mon ami m'a beaucoup parlé de toi car il te trouve vraiment belle. Il adore comment ta peau est rouge comme une belle rose (il aime énormément les roses). Il aime aussi ton beau sourire lumineux. Il aime ton intelligence. J'aime aussi les femmes intelligentes. Alors sois courageuse, ma belle, car nous avons tous une vie à vivre. N'oublie pas de ne pas laisser le mal triomphé. Continue de sourire parce que tu es unique d'une manière magnifique ! Je suis moi-même unique et je pense qu'être normal est ennuyeux. Si tu veux, on peut se parler sur Insta".
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Suivi de près par :
"Je voulais aussi te préciser que j'ai une copine. Mon ami est celui qui s'intéresse à toi. Son numéro est le suivant : [caché]. Envoie-lui un message sur whatsapp si tu veux ! Passe une merveilleuse journée, rayon de soleil !"
J'avais fait une capture d'écran des messages et les avais partagés sur mes Stories Instagram, avec la légende "creep". Lorsque je me suis réveillée le lendemain matin, j'ai reçu plusieurs autres e-mails de Rudrendra, en colère contre moi (il essayait juste d'être gentil !).
L'un d'eux était :
"Mon ami et moi essayions juste d'être gentils. Désormais, nous allons être méchants. Tu es la femme la plus moche que j'ai jamais vue et on était mort de rire avec ma copine pendant que nous t'envoyions de fausses lettres d'amour. Passe une bonne journée, pauvre fille laide".
Et puis Maya, apparemment la mère de Rudrendra, m'a écrit pour s'excuser. Plus tard, elle a prétendu que son fils était autiste, mais le handicap n'est pas une excuse pour un tel comportement.
Ces messages provenaient tous de la même adresse IP et de la même adresse e-mail dans un autre pays. Je pense que ces personnes veulent simplement attirer l'attention, et elles l'obtiendront si je partage ces commentaires avec vous. Mais l'attention sera portée sur leur méchanceté.
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C'était une réponse provocante qui contenait également une déclaration sur le handicap et nos normes de beauté irréalistes.
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Pour être clair, je ne prends pas à cœur ce que ces personnes disent sur mon apparence. Le fait qu'elles me traitent de moche n'est rien que je n'aie déjà entendu auparavant.
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Les faux compliments, puis la réaction violente quand je les ai démasquées, c'est un comportement prévisible. Ce qui me dégoûte vraiment, c'est l'e-mail qui dit que je devrais être reconnaissante d'être née moche, de pouvoir marcher et de ne pas être agressée sexuellement (sous-entendu, parce que je suis handicapée et apparemment pas assez attirante pour être une cible). C'est un sentiment vraiment dérangeant - et ce n'est tout simplement pas vrai.
Les femmes en situation de handicap subissent en fait des agressions sexuelles à un taux plus élevé que les femmes non handicapées. Les femmes handicapées sont également plus susceptibles de subir des violences que les femmes non handicapées - et c'est souvent à cause de ces attitudes que notre ami Rudrendra a démontrées ici.
Rudrendra et Maya pensaient probablement qu'ils rigolaient sur une inconnue. Mais ce faisant, ils ont révélé quelque chose de très sinistre sur la façon dont les personnes handicapées sont parfois perçues.
J'espère que Rudrendra et Maya auront de meilleurs passe-temps, qui incluent le respect des femmes.
Un grand nombre de mes ami·e·s handicapé·e·s - en particulier les femmes handicapées - sont également confronté·e·s à des discours de haine en ligne.
Melissa Blake, est atteinte d'une maladie génétique des os et des muscles appelée syndrome de Freeman-Sheldon - une maladie rare qui affecte la bouche, le visage, les mains et les pieds. Elle est en fauteuil roulant. Elle tient un blog depuis 2008 et, comme moi, son blog l'a amenée à écrire pour les médias - elle écrit sur la représentation du handicap, la culture pop et sur le monde du dating.
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Les trolls sur Internet la traitent régulièrement de "moche" et de "blobfish", et lui disent que "personne ne sortira jamais avec toi".
"Je dis toujours que les selfies ont changé ma vie pour toujours et ils l'ont vraiment fait", déclare-t-elle. "En 2019, un de mes tweets est devenu viral après que j'ai posté trois selfies en réponse aux trolls en ligne qui disaient que j'étais trop moche pour poster ma photo. C'était une réponse provocante qui contenait également une déclaration sur le handicap et nos normes de beauté irréalistes".
"Non seulement les gens se sont sentis concernés par mon histoire, mais le fait de poster des selfies m'a donné confiance en moi et m'a aidé à élargir mon réseau pro ! Je travaille désormais sur mon premier livre sur ce que je souhaite que les gens sachent sur le handicap !".
Au moment où nous écrivons ces lignes, le tweet de Melissa a reçu plus de 30 000 retweets et plus de 324 000 likes.
Aujourd'hui en France, il est possible de sanctionner les personnes qui participent au trolling en ligne. Mais malheureusement, beaucoup de plaintes restent sans suite, comme nous le prouve le cas récent de la Youtubeuse Mava Chou qui avait déposé cinq plaintes au commissariat depuis 2020 avant de mettre fin à ses jours. Un cas qui est bien loin d'être isolé.
Récemment, quelqu'un sur Twitter m'a dit que je devrais porter un masque sur toutes mes photos. C'était en réponse à une photo que j'ai postée, moi sur mon balcon à la maison, portant une tenue colorée, mais pas de masque.
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Ce tweet a été émis le jour d'une manifestation anti-Covid qui a fait la une des journaux nationaux. J'avais pris des précautions pour éviter les attaques de trolls en interdisant à quiconque de répondre à mes tweets en faveur de la vaccination et à mon mépris pour les manifestant·e·s. Mais ils ont ciblé d'autres de mes tweets.
Lorsque j'ai demandé pourquoi je devais porter un masque, la personne a répondu que c'était parce que je suis un modèle et que je devais encourager le port du masque.
Bien sûr, au vu dans la situation de confinement du Covid dans laquelle nous nous trouvions, elle avait l'air de faire preuve d'obligeance, en m'encourageant à avoir un bon comportement vis-à-vis du port du masque. Mais ce qu'elle faisait en réalité, c'était d'avoir l'air de s'inquiéter pour moi et de m'aider, tout en suggérant que mon visage est inesthétique et qu'il faut le cacher. (Tout en sachant qu'il y a beaucoup de photos de moi portant des masques en ligne).
J'ai remarqué que cette personne s'était récemment inscrite sur Twitter, et que tous ses tweets mettaient en colère les femmes marginalisées, et amplifiaient les messages contre le confinement.
Certains de mes followers l'ont signalé, tout comme moi. Mes signalements, et ceux des autres, n'ont pas été jugés contraires aux normes communautaires de Twitter. La personne s'est donc tirée d'affaire.
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Je suis reconnaissante aujourd'hui de pouvoir gérer mes feeds de réseaux sociaux en suivant des personnes handicapées et diverses, ce dont j'aurais eu besoin quand j'étais plus jeune.
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Je me suis souvent demandé qui modérait les plateformes de réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et Instagram, notamment parce qu'une grande partie des discours de haine à l'égard des personnes handicapées que je signale ne sont pas jugés contraires aux normes communautaires.
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Et parfois, les corps et les visages des personnes handicapées sont jugés offensants, alors un avertissement de contenu sensible est placé sur les photos, ou supprimé entièrement. Le compte Instagram Special Books by Special Kids est dédié à la diffusion de photos et d'entretiens avec des personnes en situation de handicap dans le monde entier. Le compte reçoit régulièrement un avertissement de contenu sensible sur ses photos.
Chris Ulmer, fondateur de SBSK, a récemment posté une légende sous une photo de lui avec un jeune homme, Zaid, qui a une difformité faciale. La photo précédente du jeune homme avait été jugée à contenu sensible par Instagram.
"Il est exaspérant de voir l'avertissement 'contenu sensible' qui a été placé sur la vidéo de Zaid", a-t-il écrit. "Nous avons créé un système qui célèbre les personnes qui se retouchent pour devenir méconnaissables, qui établit un standard de beauté inatteignable pour les enfants, mais une personne reçoit un avertissement sur son visage simplement parce qu'elle est handicapée. C'est un énorme problème qui a d'innombrables impacts négatifs dans la société. Tu es parfait tel que tu es, Zaid. Et tout le monde, à part ces fichus algorithmes, le pense aussi".
Je suis bien consciente de l'impact émotionnel de la modération du contenu des réseaux sociaux. Il a été rapporté que les personnes qui modèrent pour Facebook souffrent d'anxiété, de burn-out et de traumatisme indirect en raison de l'immense quantité de contenu traumatique qu'elles voient. Mais quelque chose doit changer.
Dans l'ensemble, mon expérience des réseaux sociaux a été positive. Elle m'a permis de créer des opportunités et des amitiés incroyables, et je suis reconnaissante de pouvoir gérer mes feeds de réseaux sociaux en suivant des personnes handicapées et diverses, ce dont j'aurais eu besoin quand j'étais plus jeune.
Mais parfois, lorsque je reçois des commentaires disant à quel point je suis laide, ou que je "devrais être immolée par le feu" (un commentaire qui est survenu lorsque ma photo a été utilisée à mauvais escient sur Reddit en 2013), je suis découragée. Il n'y a apparemment aucune conséquence pour les trolls en ligne. Internet, c'est la vraie vie, et les discours haineux à notre encontre ont un impact très réel.
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