La solitude est devenue l'un des plus grands fléaux de notre monde hyperconnecté, avec plus de 5,5 millions de personnes en France qui avouent se sentir constamment ou souvent seules. Vivre avec un handicap rend une personne plus susceptible de se sentir isolée, déconnectée et exclue. Dans une étude sur la solitude en France menée en 2018 par la fondation France, on apprend que 12 % des personnes en situation de handicap sont isolées, contre 9 % du reste de la population ; 32 % se sentent seules, contre 22 % du reste de la population, et 8 personnes sur 10 en souffrent. En 2017, l'organisation caritative Scope indiquait qu'un adulte en situation de handicap sur huit avait moins d'une demi-heure d'interaction quotidienne avec un autre individu. Les obstacles pratiques, comme le manque de transports adaptés et d'espaces accessibles, représentent certainement des freins à une vie sociale active, mais le manque de sensibilisation est aussi responsable. Selon l'association caritative Sense, 49 % des personnes non handicapées estiment n'avoir rien en commun avec les personnes en situation de handicap et 26 % admettent éviter d'initier une conversation.
Afin de combler ce fossé d'ignorance, il est temps de faire entendre davantage d'expériences et de voix. Nous avons demandé à Sarah, 32 ans, atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos (un dysfonctionnement du tissu conjonctif qui entraîne un étirement et une flexion excessifs du corps et une dislocation des articulations) et de fibromyalgie, de nous parler de son expérience de la vie avec un handicap et des douleurs chroniques, de comprendre comment cela se recoupe avec les questions d'isolement et de solitude, et de réfléchir à certaines des choses que les personnes non handicapées pourraient entreprendre pour rendre le monde plus inclusif et plus connecté.
Je prends chaque jour comme il vient, parce que tout dépend vraiment de mon état de santé. J'essaie de sortir de la maison au moins une fois par semaine, mais ce n'est pas toujours possible. Il y a quelques mois, j'étais dehors, et avec le froid, j'ai eu très mal aux articulations. Je ne pouvais plus bouger du tout le lendemain. Impossible pour moi de simplement me lever et sortir de chez moi, je dois planifier chaque sortie des jours à l'avance, et m’assurer d’avoir assez de temps pour récupérer après. Même si j’ai vraiment envie d'aller quelque part, il se peut que je sois forcée d'annuler au dernier moment.
L'isolement est un gros problème et, comme je suis blogueuse et rédactrice indépendante, je n'ai pas un travail conventionnel qui me pousse à aller au bureau tous les jours. Je suis originaire de Liverpool, mais j'ai déménagé dans le Northamptonshire il y a quatre ans pour vivre avec mon copain Ian, et ça a été un très grand changement pour moi. Je n'ai pas vraiment d'amis avec qui je peux sortir ici, et la seule personne que je connaisse en dehors de sa famille, c’est ma manucure - ce qui est un peu triste, soyons honnêtes.
M'éloigner de ma famille et de mes amis proches n'a pas été facile, je me suis beaucoup renfermée sur moi-même et je ne pouvais même pas exprimer à mon meilleur ami de 20 ans à quel point je me sentais seule, même si on se parle tous les jours. Il n'y a rien qu'il puisse faire, car il vit à trois heures de chez moi. Et parler à quelqu'un au téléphone, ce n'est pas la même chose que d'aller prendre un café ou regarder un film ensemble.
La douleur chronique est mon principal défi et je ne peux pas vraiment prédire comment une journée va se passer. Quand j'étais plus jeune, j'ai perdu beaucoup d'amis à force de devoir annuler nos plans à la dernière minute, et on a finit par arrêter de m’inviter. Je ne voulais pas en parler, parce que je me demandais si ça en valait la peine. Est-ce que ces gens étaient même vraiment des amis de toute façon ? On commence à devenir parano et à se remettre en question.
J'ai toujours traîné un fort sentiment de culpabilité - je m'excusais beaucoup et je pense que je le fais encore aujourd'hui, même si c'est moins souvent. Ce n'était même pas de grandes occasions que j'annulais, simplement un café ou quelque chose du genre ; jamais les fêtes ou les anniversaires parce que je me force toujours à participer à ces événements-là, même si je souffre physiquement. Je ne veux pas décevoir. Mais la culpabilité ne cessait de s'accumuler, c'était ridicule. J'avais l'impression que je ne pouvais pas me permettre de perdre d'autres amis, parce que c’est ce qui était arrivé au lycée puis à la fac. Mes amis non handicapés ne comprenaient pas vraiment ma situation : dès que je ne pouvais plus les voir aussi souvent qu'ils le voulaient, ils disparaissaient, même si on était de bons amis au départ. C'était un peu comme s'ils se disaient : elle nous a laissé tomber six fois et on ne veut plus s'occuper d'elle. Si plus de gens savaient à quel point la douleur chronique et le handicap affectent les personnes qui vivent avec, ils seraient peut-être plus compréhensifs.
La flexibilité est également essentielle à mon avis. Avant, si j’annulais un rendez-vous avec mon meilleur ami, il venait chez moi et on regardait la télé ensemble ou il changeait nos plans pour qu'on fasse quelque chose qui me convienne. Si j'annule un mardi, c'est ok de proposer une nouvelle date immédiatement - je ne me sentirai pas sous pression, j'aurai l'impression qu'on a vraiment envie de passer du temps avec moi et comme ça j'ai moins l'impression d'être un fardeau. Parfois, je souffre tellement que je ne peux pas sortir et les personnes que je devais voir vont me dire qu'on a qu'à remettre ça, mais ensuite, plus de nouvelles.
Le simple fait de prendre des nouvelles peut aussi faire une énorme différence. Quand vous êtes complètement seule et que vous souffrez, recevoir un texto de quelqu'un avec qui vous n'avez pas parlé depuis longtemps peut vraiment vous remonter le moral. Alors oui, c'est un message, pas un remède miracle, donc la douleur ne disparaîtra pas comme par magie, mais ça permet de se concentrer sur autre chose et c'est tout simplement agréable. J'utilise Twitter, WhatsApp et d'autres outils pour garder le contact, c'est très utile dans ma situation. Même si c’est cool de pouvoir discuter depuis son salon de mode ou de ces nouvelles chaussures que je viens d'acheter (parce qu'autant vous dire que mon copain n'est pas vraiment intéressé), ce n'est pas la même chose que d'aller faire du shopping ensemble.
Aujourd'hui, je ne me sens pas trop mal et j’ai vraiment hâte de rejoindre un ami pour aller manger un bout. J'ai l'impression de partir en vacances, même si je serai à peine à deux pâtés de maison de chez mes parents, à qui je rends visite en ce moment. Ça fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de sortir, et c'est très important, parce que, qui sait, les six autres jours de la semaine, je pourrais très bien me retrouver coincée chez moi à souffrir. Sortir, rire et parler à quelqu'un qui est vraiment là, c'est énorme - ça brise la monotonie et ça me donne vraiment l'impression d'être un membre de la société comme les autres. Quand je sors, ça me donne de l'énergie pour des jours, voire des semaines. Lorsque vous vivez avec un handicap qui affecte votre mobilité, aller prendre un café n'a rien d'anodin, et je sais que je ne peux pas prendre ça pour acquis.
Si vous souffrez de dépression ou d'anxiété, ne gardez pas ça pour vous. Vous pouvez en parler à votre médecin traitant ou consulter le site infodepression.fr pour une écoute et des information utiles sur la question.