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J'ai été licenciée – et ça a changé ma vie (en mieux)

Photographed by Franey Miller
On est jeudi matin. Je me rends au travail, comme d'habitude. Sauf que ce que j'ignore à ce moment-là, c'est que je serai de retour chez moi d'ici deux heures. Ce matin-là, je ne me suis doutée de rien quand j'ai vu que tout le monde était silencieux en réunion. Quand mon manager s'est approché de moi, j'ai cru que c'était pour m'annoncer une bonne nouvelle. Je pensais que j'allais obtenir ce que je demandais déjà depuis des semaines. Au lieu de ça, il m'a dit que « j'avais été entendue, mais que c'était à moi de partir. »
Se faire licencier n'a pas grand chose à voir avec ce qu'on voit à la télé. Personne ne vous gueule dessus que « vous êtes virée », c'est plus subtil que ça. En ce qui me concerne, on n'a jamais prononcé le mot en tant que tel. Mais mon responsable et moi savions tous les deux de quoi il en retournait. On m'a dit que mon contrat – qui se terminait bientôt – ne serait pas renouvelé. J'étais en charge du marketing et du branding d'un produit tech. Je venais justement de présenter le lancement de ce produit à mon équipe pour l'année à venir. Un lancement qui se ferait sans moi.
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Se faire licencier n'a pas grand chose à voir avec ce qu'on voit à la télé. Personne ne vous gueule dessus que « vous êtes virée », c'est plus subtil que ça.

J'ai renoncé à l'idée de comprendre ce qu'il avait bien pu se passer pour qu'on en arrive là. Trouver quelle était exactement ma part de responsabilité dans tout ça. De toutes façons, il y a des choses qui échappent à l'analyse. Après que mon manager m'ait dit qu'« ils me laissaient partir », j'ai perdu pied. Je me souviens qu'on m'ait dit de ne pas tenir l'entreprise pour responsable. Et que ça n'avait rien à voir avec ma performance non plus. C'était moi le problème, mon état d'esprit, le fait que j'étais malheureuse à ce poste et que partir serait la meilleure chose pour moi.
C'est vrai que je n'étais pas heureuse. Mais je voulais que ça marche. Je n'avais jamais pensé à démissionner. J'étais suffisamment naïve pour croire que j'avais le pouvoir de faire changer les choses. La moitié de l'équipe était localisée dans une autre ville et on avait énormément de problèmes de communication. Au bout d'un moment, je pense que j'ai dû perdre le respect et la confiance de cette équipe dont j'étais loin. Je me sentais perdue dans ma vie personnelle, ma santé mentale était au plus bas et je n'arrivais plus à gérer.
J'ai tout fait pour rester digne. « Merci. C'est dommage qu'on en soit arrivé là, mais je comprends. Est-ce que je peux rentrer chez moi, s'il-vous-plaît ? ». C'est tout ce que j'ai dit.
J'ai marché jusqu'à mon bureau et ai fait mes affaires. Le CEO est venu me voir, mais j'ai couru. Je ne voulais pas qu'il me voit pleurer. Une fois dehors, j'ai éclaté en sanglot.
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Arrivée chez moi, j'ai ressenti un vide immense. C'était fini et j'ignorais parfaitement de quoi demain serait fait. Quelques collègues m'ont envoyé des messages pour me consoler. La personne qui devait reprendre mes tâches m'a aussi passé un coup de fil. Il m'a dit que ça lui était déjà arrivé et qu'il voyait ça comme quelque chose de positif avec le recul. Je n'étais pas encore prête à entendre ça.

Une fois chez moi, j'ai ressenti un vide immense. C'était fini et j'ignorais parfaitement de quoi demain serait fait.

Puis j'ai écrit à quelques amis. Les meilleurs d'entre eux m'ont tout de suite appelé. Ils m'ont dit que je n'avais pas à avoir honte. Ma mère m'a rejoint pour le déjeuner. Elle m'a dit que j'étais en état de choc et qu'il fallait que j'essaie de me détendre dans les prochains jours.
Quand mon copain est mort il y a 6 ans, elle m'avait dit que tout le reste me paraîtrait simple à affronter, en comparaison. Pourtant, les étapes par lesquelles je suis passée après ce licenciement m'ont curieusement rappelé le deuil. Comme à l'époque, j'étais prise de colère. Je n'arrêtais pas de gueuler et de me plaindre. La colère semblait être le seul moyen d'anesthésier ma douleur.
Ce n'était pas un licenciement économique. Je ne pouvais ni accuser mon entreprise ni l'économie. C'était moi le « problème ». Quelqu'un d'autre avait récupéré mon poste. J'avais moi-même participé à des comités de licenciement. Je savais ce qu'il s'y disait, pour avoir moi-même dû licencier quelqu'un une fois. Je ne pensais pas que ça m'arrivait un jour.

Ce n'était pas un licenciement économique. Je ne pouvais ni accuser mon entreprise ni l'économie. C'était moi le « problème ».

J'avais la chance d'avoir de l'argent de côté, heureusement. Je venais d'avoir 29 ans et de perdre mon boulot. Pour être honnête, j'avais extrêmement honte.
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Apparemment, c'est assez commun. Une étude sur un panel d'hommes montre que 25% des hommes confrontés à un sentiment de honte intense sont aussi au chômage. Une autre étude montre que perdre son travail peut affecter la santé mentale d'une personne sur le long terme, parfois jusqu'à 5 ans après un licenciement.
On admet rarement qu'on a été viré. Et j'ai rapidement compris pourquoi. J'avais du mal à le dire à des inconnus. Quand on me demandait ce que je faisais dans la vie, j'hésitais à raconter ce qui m'était arrivée. Les gens avaient du mal à me placer. Une fois, quelqu'un m'a demandé « Qu'est-ce que tu avais fait de mal ?! » quand il a appris que j'avais été licencié. Au moins, c'était honnête. C'est ce que tout le monde se demandait.
Ça a aussi eu un impact dans ma vie amoureuse. Sur les applis de rencontre, quand je disais que je ne travaillais pas, on ne me répondait plus. Une fois, à un mariage, j'ai discuté avec l'unique célibataire de l'assistance. On était assis à côté. J'ai décidé de lui partager mon histoire. Il m'a dit que j'avais l'air amère. C'est comme si tout le monde avait peur d'être contaminé par moi, comme si j'avais une infection dangereuse.
Il y a un réel stigma autour du chômage. Apparemment, plus vous restez sans emploi, moins vous avez de chance d'être recrutés. Notre culture du travail nous apprend à associer les gens à ce qu'ils font dans la vie. Si bien que quand on perd son travail, on n'existe plus au yeux des autres.
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Évidemment, tout ça va avoir un impact sur votre santé mentale. Plusieurs études montrent que la dépression et l'anxiété sont courantes chez les chômeu·r·ses. Iels seraient même 4 à 10 fois plus susceptibles de présenter ces symptômes, au delà de 12 semaines de chômage. Une personne au chômage a entre 2 à 3 fois plus de chances de tenter de se suicider qu'une personne qui travaille.

Le pire qui pouvait m'arriver professionnellement m'est arrivée. Ça m'a libéré de toutes mes peurs.

J'ai toujours été douée dans ce que je faisais. Mon travail était toute ma vie, par exemple. J'ai eu très vite envie de « réussir ». A l'âge de 26 ans, j'ai été promue Responsable de la Communication Globale dans une start-up réputée. Maintenant que j'étais sans emploi, je me retrouvais seule avec moi-même. C'était effrayant. De moi-même, je n'aurais jamais pris le temps de faire ça.
Tout a changé quand j'ai revu un ancien collègue pour un café. Il faisait beau et nos visages irradiaient sous le soleil. « Je veux faire ce que tu fais. » C'est ce qu'il a dit. J'ai failli tomber de ma chaise. Il a poursuivi en me disant qu'il manquait de temps et d'espace pour penser, se demander qui il était vraiment. Il voyait ma situation comme quelque chose d'inspirant. J'ai fini par comprendre ce qu'il voulait dire.
C'est vrai après tout. J'avais enfin la change d'explorer d'autres pistes. J'étais libre de faire ce que je voulais, et je ne m'ennuyais d'ailleurs jamais. J'avais enfin le temps de faire toutes ces choses dont on parle et qu'on ne fait jamais. Je pouvais enfin lire Le Monde par exemple. Je pouvais me rendre à tout un tas d'événements enrichissants. Je pouvais littéralement m'entendre devenir quelqu'un de plus intéressant, quelqu'un dont le cerveau n'était pas saturé de mails
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J'adorais vivre à contre-courant. Les salles de sport vides. Pas de queue à La Poste. Je n'avais plus besoin de monter dans un métro bondé. Je passais du temps avec gens en congé maternité, des créatifs en freelance, le temps d'un déjeuner. J'avais aussi beaucoup plus de temps pour mes amis. J'étais toujours à l'heure. Mon rythme de vie et ma nouvelle liberté me convenaient si bien que j'ai fini par me dire que je ne pourrais pas reprendre le chemin du bureau.

Plusieurs études montrent que la dépression et l'anxiété sont courantes chez les chômeur·ses.

Donc je suis devenue consultante, en tant qu'indépendante. Ça se passe hyper bien. J'ai maintenant une nouvelle définition du succès. Pour moi, ça se définit en termes de liberté et d'épanouissement, sur tous les aspects de ma vie, que ce soit au travail ou en dehors du travail. Et je peux dire que j'y parviens à peu près tous les jours.
Ce que j'apprécie le plus, c'est de savoir que ma valeur ne dépend plus de l'approbation des autres. Mon succès et mon bonheur ne sont plus placés entre les mains d'un quelconque employeur. Je n'ai plus besoin de correspondre aux « valeurs de l'entreprise » ni de me soumettre à la hiérarchie. Ma réussite se mesure au travail que je fournis à mes clients. Je pense d'ailleurs que si mes clients sont si ravis de mon travail, c'est parce que j'aime ce que je fais.
Le pire qui pouvait m'arriver dans ma carrière m'est arrivée. Ça m'a libéré de toutes mes peurs. Je sais que je serai toujours capable de faire de l'argent. Je ne perds plus mon énergie à être frustrée de travailler pour des gens avec qui je n'ai pas envie de travailler. Je ne me suis jamais sentie aussi bien moralement. Je suis une meilleure amie pour les autres. Je décide de mon rythme et structure mes journées comme je l'entends. Je n'ai jamais été aussi productive. Et je suis fière de pouvoir dire que la seule personne pour qui je mets mon réveil, c'est mon coach sportif – que j'ai les moyens de voir et de payer.
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