C'était en 2006. Je célébrais une année de plus au sein de mon cabinet d’avocats et discutais avec une collègue qui venait de devenir associée. Une femme brillante. Nous étions en train de trinquer à son tout nouveau poste, lorsqu’elle m’a annoncée à mi-voix qu’elle attendait son premier enfant, en me faisant un clin d’œil sur la façon dont le timing était parfait maintenant qu’elle s’était assurée une place d’associée. À cette époque, j’étais une jeune femme de 26 ans sans enfant, et c’était la première fois qu'on me mettait dans la confidence de ce que devait faire bon nombre de femmes : essayer de prévoir une grossesse au moment opportun afin de ne pas ruiner ses chances de grimper les échelons.
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Plus d’une décennie et quatre grossesses plus tard (on pourrait faire tout un article sur le sujet), le seul aspect de cette conversation qui me surprend encore, c’est que nous ne sommes toujours pas capables en tant que société, d’adresser ouvertement les préjugés auxquels font face les mères dans le monde de l’entreprise, que ce soit dans l’industrie légale (comme c’était mon cas), du service, ou même de l’éducation. Les conséquences pour les mères qui travaillent sont terribles. C’est un fait : les chances d’être promu sont inférieures pour les femmes que pour leurs collègues masculins, et les femmes qui ont des enfants sont moins susceptibles d’avancer dans leur carrière que les femmes qui n’en ont pas. En 2014, Dr Michelle J. Budig avait déclaré : « On remarque que pour beaucoup d’hommes, la paternité résulte souvent en une augmentation de salaire. Pour les femmes en revanche, leur salaire s’en retrouve pénalisé. Alors que la différence de salaire entre les femmes et les hommes se réduit, la différence de salaire en lien avec la parentalité perdure. »
Il existe même un terme pour ceci : le plafond de mère. Mais pourtant, ce jargon n’est pas encore généralisé. Ce n’est qu’après qu’il se soit hissé au dessus de ma tête, sans que je ne trouve de moyen de le briser que j’ai pris conscience de son existence. Je lisais à cette même époque En avant toutes, de Sheryl Sandberg. C’est alors qu’une note de bas de page a attiré mon attention : 43 % des femmes hautement qualifiées qui ont des enfants décident de renoncer à leur carrière ou de faire une pause pour une durée indéterminée. »
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Je suis finalement devenue une statistique, lorsque j’ai décidé que le seul moyen de contourner cet obstacle était de prendre la porte de sortie et de laisser ma carrière derrière moi. (Je payais encore mon crédit étudiant lorsque j’ai pris cette décision, et il semblerait que les taux d’intérêt, contrairement aux salaires, ne soient pas vus à la baisse pour les femmes.) C’est alors que j’ai pris la décision de monter mon entreprise, The Riveter — tout naturellement centrée autour de la femme et de la carrière. Nombreuses sont les femmes qui, comme moi, prennent cette direction. Les femmes montent des entreprises à un taux 5 fois supérieur à celui des hommes. Et bien que les préjugés auxquels elles font face pour ce qui est de l’accès au fonds les suivent dans le monde de l’entreprenariat — pour les petites comme pour les grandes entreprises — les mères rencontrent tout de même un succès spectaculaire.
Anne Wojcicki, cofondatrice et PDG de l’entreprise de test ADN 23andme, a été nommée cheffe d'entreprise la « plus audacieuse d’Amérique » et a mis au monde deux bébés durant les deux premières années qui ont suivi le lancement de son entreprise. Stacy Brown-Philpot a réussi à doubler la taille de TaskRabbit lorsqu’elle en était PDG, tout en s’occupant de ses deux filles. L’entreprise de Jennifer Hyman Rent the Runway a atteint le statut de légende (atteignant une valeur de près de 1 milliard de dollars), alors qu’elle était enceinte de neuf mois de son second. Une chose est sûre : les femmes peuvent créer et participer au développement d'êtres humains, tout en créant et développant des entreprises. Il en va de même pour les mères qui restent aux Conseils des entreprises Fortune 500, qui font un pied de nez aux idées reçues sur la maternité et la supposée faiblesse des mères. Nous voyons des dizaines de femmes gérer simultanément les calendriers de leurs enfants et augmenter les marges des plus grandes entreprises américaines. Susan Wojcicki, la grande sœur d’Anne, a été nommée à la tête de Youtube en 2014, année de naissance de son cinquième enfant. Lorsqu’ Indra Nooyi a été nommée à la tête de PepsiCo en 2006, sa petite dernière n’avait que 13 ans. Alors si l’on considère cela, pourquoi le plafond de mère est-il toujours aussi important ? Les femmes sont des leaders et la maternité est une force, non une faiblesse. Être mère nous apprend à accepter l’inconnu, à appréhender chaque jour en gardant l’efficacité comme priorité, à diriger avec empathie, à accepter l’imprévisible et à communiquer clairement. Chacun de ces traits caractérise ce qui fait un bon leader et l’on devrait s’assurer que ces caractéristiques soient requises dans le futur. Je sais de quoi je parle : il est 5 h 00 un dimanche, et mes enfants sont sur le point de se réveiller. Je vais passer la journée avec eux, puis j’allumerai de nouveau mon écran ce soir pour préparer la semaine à venir. C’est ce qui est normal pour moi, et c’est ainsi que j’ai réussi à faire passer une entreprise de simple idée à plateforme nationale comptant 50 employées et des millions en revenus, en moins de deux ans (le tout en créant de petits êtres : je suis enceinte de mon quatrième).
Je comprends maintenant pourquoi il y a de cela toutes ces années, ma collègue a préféré attendre d’atteindre le sommet de sa carrière avant d'avoir des enfants. Ce que j’ai plus de mal à comprendre, c’est pourquoi nous en sommes encore à nous poser ces questions aujourd'hui. Nous pouvons et devons mieux faire.
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