Comment aborder le handicap en entretien d’embauche ?
Le processus d’entretien peut être un champ de mines pour les personnes handicapées.
"Mais… comment le temps hivernal vous affecte-t-il ?"
J'étais assise en face de la personne qui me faisait passer un entretien pour un job que je voulais vraiment, ne sachant pas du tout comment répondre.
C'était au printemps 2016, et j'avais postulé à plus de 100 emplois dans mon domaine de prédilection, le journalisme. J'étais sur le point de terminer mes études supérieures, et je savais que je devais être aussi ouverte et flexible que possible étant donné la rareté des opportunités dans les médias. Je suis également handicapée physiquement et je porte un tube de trachéotomie autour du cou, qui m'aide à respirer. Mon handicap est visible ; c'est généralement l'une des premières choses qu'une personne remarque lorsqu'elle me rencontre.
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Ce jour-là, j'ai passé un entretien pour un poste de responsable de contenu dans une agence de presse locale. C'était un travail de bureau. Je devais publier des articles, produire des reportages et mettre à jour la page d'accueil.
J'étais prête à répondre à n'importe quelle question liée au poste, mais lorsque le rédacteur en chef m'a demandé : "Comment le temps hivernal vous affecte-t-il ? Cela ne vous assèche-t-il pas ?", tout en montrant du doigt mon tube de trachéotomie, j'ai été décontenancée. Ce n'était pas un travail de reportage sur le terrain, donc je n'allais pas passer beaucoup de temps à l'extérieur. Pourquoi m'a-t-on demandé ça ?
J'ai hésité. En donnant une réponse, je me suis rendu compte que j'allais reconnaître mon handicap et répondre à une question qui n'avait rien à voir avec le poste. Mais quel autre choix avais-je ? J'ai insisté sur le fait que le temps ne faisait pas de différence et j'ai réitéré toutes les raisons pour lesquelles j'étais une excellente candidate.
Le rédacteur en chef m'a écoutée et m'a posé d'autres questions, puis c'était fini. J'ai passé trois heures de plus à enchaîner les entretiens, mais cette première conversation m'a perturbée pour le reste de la journée. J'ai passé la nuit à me demander si j'avais gâché mes chances. Quelques jours plus tard, j'ai appris que je n'avais pas eu le poste.
Postuler à un emploi lorsqu'on est handicapé·e n'est pas une mince affaire. En 2019, seulement 938 000 personnes handicapées avaient un emploi en France sur 2,7 millions de personnes reconnues handicapées, selon Talenteo. De plus, pour la même année, le taux de chômeurs handicapés a augmenté de plus de 4,7 % par rapport à 2016. Pour de nombreu·ses·x candidat·e·s handicapé·e·s, l'un des aspects les plus stressants de la recherche d'emploi consiste à décider s'il faut ou non révéler son handicap - et, si oui, à quel moment. Les implications sont également différentes pour les personnes souffrant de handicaps invisibles, comme la douleur chronique, et pour celles qui, comme moi, sont visiblement handicapées.
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Le droit du travail en France interdit aux employeurs potentiels de pratiquer une discrimination fondée sur le handicap à tout moment du processus d'embauche. En particulier, selon Agefiph, "la question du handicap doit être abordée uniquement en matière de besoins et restrictions en lien direct avec l'emploi proposé. Le manager doit veiller à ne pas interroger le candidat sur des questions relevant de sa vie privée, comme la nature des traitements ou l'origine de son handicap".
Cependant, il est courant, au sein de la communauté des personnes handicapées, de craindre les préjugés entourant un emploi vacant. Pour lutter contre une situation qui pourrait créer un préjugé, beaucoup essaient d'éviter de révéler toute information sur un handicap aux employeurs - mais c'est beaucoup plus compliqué dans la pratique. Par exemple, si un responsable du recrutement pose carrément des questions sur un handicap pendant un entretien, comme dans mon cas, c'est au candidat de décider comment répondre. Bien qu'il puisse être inapproprié et légalement discutable pour un employeur potentiel de poser ce type de question, dans le feu de l'action, il semble que nous n'ayons pas d'autre choix que de le révéler. Nous ne voulons pas passer pour des personnes difficiles ou peu coopératives, et donc moins dignes d'être embauchées. Et nous savons que la discrimination à l'embauche est souvent difficile à prouver.
La question que m'a posée le rédacteur en chef sur la météo hivernale était-elle justifiée ?
"Je ne pense pas, car il ne s'agit pas d'une question sur le type d'aménagement pour l'entretien ou l'emploi", a déclaré Doron Dorfman, professeur associé à la faculté de droit de l'université de Syracuse, spécialisé dans le droit des personnes handicapées et enseignant les problèmes de discrimination dans le secteur du travail. "Je ne le vois pas non plus vraiment comme étant lié au travail ou considéré comme une nécessité professionnelle. Si c'est un travail de bureau, pourquoi la météo est-elle si importante ?"
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Le fait même qu'on m'ait posé cette question m'a rappelé que la divulgation d'un handicap est une arme à double tranchant. Par nature, un entretien d'embauche consiste à montrer ce que vous savez faire, et le handicap est généralement considéré comme une faiblesse. Bien entendu, le risque de révéler un handicap au cours d'un entretien dépend des idées préconçues de l'employeur sur le handicap. La personne chargée de l'entretien peut émettre des hypothèses sur vos compétences. Pourtant, il peut être délicat d'attendre de recevoir une offre d'emploi pour révéler son handicap. Les employeurs peuvent se demander pourquoi vous avez attendu et, dans le pire des cas, douter que vous soyez "vraiment" handicapé·e. Il n'y a qu'un pas à franchir entre donner l'impression d'être incapable de faire le travail ou de ne pas être "suffisamment handicapé·e" pour bénéficier d'aménagements. La divulgation est également étroitement liée à la race et à la classe sociale, car les personnes handicapées pauvres de couleur sont susceptibles d'être encore plus discriminées que leurs homologues blancs et riches.
Pour certaines personnes, cependant, il est nécessaire de révéler un handicap lors d'un entretien d'embauche afin de demander des aménagements, a déclaré M. Dorfman. Les employeurs ne peuvent pas les fournir s'ils ne sont pas au courant. Mais les personnes souffrant de handicaps invisibles peuvent se voir demander de fournir des documents prouvant leur statut de handicapé et leur besoin d'aménagements, ce qui peut indirectement alimenter ce que Dorfman appelle la "peur de l'arnaque du handicap", c'est-à-dire l'idée que les personnes handicapées font semblant pour obtenir un avantage injuste.
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D'un autre côté, parler du handicap peut aussi contribuer à le déstigmatiser. Une fois que j'ai commencé à affiner mon expertise en tant que journaliste spécialiste du handicap, il m'a été plus facile de parler de mon propre handicap lors des entretiens d'embauche, car cela m'aidait à expliquer pourquoi mon travail était si solide : j'avais une expérience directe de la communauté que je couvrais. De temps en temps, on me posait des questions sur mon handicap en rapport avec ma carrière, mais Dorfman a dit que ces questions étaient moins susceptibles de constituer une réelle discrimination étant donné le contexte. De plus, ces questions ont eu un impact différent de celui de la question sur les températures hivernales, qui m'a mis mal à l'aise et a diminué ma confiance en moi.
Il m'a fallu près de deux ans de travail en freelance, de travail dans un organisme de santé à but non lucratif pour payer les factures et de candidatures à des dizaines d'emplois avant de trouver mon poste actuel de rédactrice au HuffPost. Tou·tes·s celles et ceux avec qui je travaille savent que mon handicap renforce mon travail de journaliste. Mais toutes les personnes handicapées n'ont pas la même chance que moi.
Pour les employeurs qui cherchent à faciliter le processus d'embauche, voici une solution minimale : les employeurs peuvent informer tous les candidats de ce qu'implique le processus d'embauche et leur demander s'ils ont besoin d'aménagements pour y participer. Cela permet de normaliser ces étapes de base, de donner aux candidats les moyens de parler de leurs besoins et d'alléger le fardeau qu'ils peuvent ressentir en abordant la question.
Mais ce n'est qu'une étape vers l'objectif ultime de créer un lieu de travail global intégrant le handicap. Une organisation pourrait publier un rapport démographique annuel montrant les progrès réalisés dans la diversification de sa main-d'œuvre, mais cela signifie également qu'il faut cultiver un environnement où le handicap n'est pas considéré comme une honte et où les personnes se sentent suffisamment à l'aise pour s'identifier comme handicapées si elles le souhaitent. Cela signifie qu'il faut fournir un accès non pas par peur, mais plutôt parce que l'on comprend que les personnes handicapées rendent les lieux de travail meilleurs et plus innovants. Cela signifie travailler de manière proactive avec tous les employé·e·s pour déterminer ce dont ils ont besoin pour réussir, plutôt que de supposer ce que certaines personnes peuvent ou ne peuvent pas faire.
Lorsque ces actions inclusives sont mises en œuvre, les personnes handicapées peuvent être sûres que non seulement un emploi leur convient parfaitement, mais que leur employeur aussi.
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