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Le job de rêve est mort. Mais a-t-il jamais vraiment existé ?

Photographed by Franey Miller.
J'ai grandi durant ce que l'on peut considérer comme l'âge d'or des comédies romantiques : la fin des années 90 et le début des années 2000. À cette époque, des films comme Comment se faire larguer en dix leçons, 30 ans sinon rien, Miss Detective, Collège attitude et Fashion victime dominaient le box-office. Ces films m'ont profondément marquée. Je sais que je ne suis pas la seule dans ce cas. Mais ce que je retiens de ces films n'a pas grand-chose à voir avec l'importance de se marier avant un certain âge, ni avec l'idée d’une potentielle rencontre avec le parfait prétendant dans un ascenseur ou au détour d'une rue. Ce que je voulais, c'était m’installer dans une grande ville, habiter un bel appartement, porter des vêtements chics et, surtout, exercer le job de mes rêves. Ce que je romançais, ce n'était pas tant une bague de diamant ou un mariage parfait, mais une carrière bien payée et hyper épanouissante dans un secteur cool et stimulant.
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Aujourd'hui encore, ça me met hors de moi lorsque je vois une femme dans un film ou une série renoncer à une opportunité professionnelle durement gagnée pour la seule présence d'un partenaire romantique qui ne soutient pas ses ambitions. Je n'ai pas pardonné à Lauren Conrad de ne pas être allée à Paris, ni à Andy Sachs d'être descendue de cette limousine, ni à Carrie Bradshaw d'avoir abandonné sa chronique et d'avoir suivi cet artiste grincheux à Paris. (Pourquoi est-ce toujours Paris, d'aileurs ?) Mais ces derniers temps, ma perspective a changé. Peut-être que ces femmes qui ont renoncé à leur carrière et à un salaire convenable au profit d'une vie personnelle avaient tout compris en fin de compte. Peut-être que le job de rêve n'est rien de plus qu'un outil qui sert à maintenir des femmes ambitieuses à jamais sur une roue de hamster capitaliste tout en les privant des choses qui font que la vie vaut la peine d'être vécue. Non, contrairement aux films, je ne parle pas d'un homme ou de ses enfants. Je parle de temps libre, de bien-être physique et émotionnel. Je parle d'intérêts qui ne sont pas directement liés aux résultats financiers de quelqu'un d'autre.
En effet, dans un monde où des entreprises ostensiblement attrayantes et avant-gardistes sont régulièrement épinglées pour le mauvais traitement de leurs employés, où la discrimination sexuelle et le racisme se reflètent encore sur nos fiches de paie et où l'idée de "l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée" relève davantage d'un concept théorique que d'un objectif que la plupart des professionnels pensent pouvoir atteindre, l'idée d'un job de rêve fait de plus en plus débat. Les tweets de personnes qui "ne rêvent pas de travail" se font de plus en plus nombreux, et on peut difficilement les contredire. 
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"L'idée du job idéal comme le but d'une vie, comme quelque chose que l'on est plutôt que quelque chose que l'on fait, et comme un symbole d'un statut social, reflète sans aucun doute les normes profondément ancrées de l'exceptionnalisme américain, obnubilé par la productivité et le puritanisme", convient Megan Hellerer, coach en carrière pour les "dirigeants en manque d'épanouissement", qui a travaillé avec Alexandria Ocasio-Cortez. Et d’ajouter : "Le concept de 'job de rêve' est présent dans toutes les conversations de coaching que j'ai avec mes clients et est souvent source de découragement. Cela peut se manifester par une désillusion après un échec, ou par le sentiment paralysant de ne pas pouvoir entreprendre sa vie ou sa carrière parce qu’on ne sait pas avec certitude quel est notre job de rêve".
Il est donc compréhensible que de nombreu·ses·x jeunes travailleu·r·ses s'opposent à des modes de pensée toxiques qui placent la productivité et la réussite au sens classique du terme au-dessus de tout le reste. Même avant le coronavirus, nous avions une sécurité de l'emploi nettement inférieure à celle de la génération de nos parents, mais selon une récente enquête de Deloitte, en mai de cette année, un jeune sur cinq de moins de 35 ans avait perdu son travail. La génération Y est également la première à gagner moins d'argent que celle de ses parents ; un rapport de 2019 du groupe de réflexion New America a déterminé que les millennials gagnent, en moyenne, 20 % de moins que les baby-boomers au même âge, malgré un niveau d'études plus élevé.
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Il n'est tout simplement pas judicieux de se définir en fonction de l'endroit où l'on travaille ou de ce que l'on fait actuellement, car il y a de fortes chances que nous soyons sous-payé·es, surmené·es et que nous vivions dans la crainte d'être licencié·e. Nous disposons aujourd'hui de tout un vocabulaire, des connaissances et des plates-formes nécessaires pour expliquer en quoi le monde du travail est une institution foncièrement sexiste, raciste et classiste, avec un grand nombre de règles et de mœurs dépassées qui n'ont pas leur place dans le monde moderne. Même si vous occupez un poste que vous aimez en apparence, il est difficile d'avoir l'impression que votre travail est un rêve lorsque vous devez faire face à des micro-agressions au quotidien, que vous multipliez les contrats juste pour payer les factures ou que vous vous sentez enchaîné·e à un bureau toute la journée en tenue de travail alors que vous pourriez théoriquement travailler de n'importe où. 
 "J'ai assurément grandi avec l'idée du rêve en tête", déclare H., 26 ans, qui s'est adressée à Refinery29 sous le couvert de l'anonymat, afin de parler librement de ses anciens employeurs. "Je voulais travailler comme rédactrice de magazine et vivre à New York, comme tous les protagonistes de comédies romantiques de ma jeunesse. J'ai fini par me spécialiser en journalisme et lorsque j'ai obtenu mon diplôme, les magazines avaient déjà perdu de leur attrait. J'ai décroché un "job de rêve" à CNN, qui s'est avéré être un cauchemar. J'ai abandonné l'idée du "dream job". Ce que je souhaite maintenant, c'est une vie de rêve".
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Une partie du problème réside peut-être dans le fait que nombre des emplois que nous idéalisons collectivement - comme rédacteur de magazine, styliste de mode, musicien, etc. - sont des domaines hyper concurrentiels, souvent mal payés en début de carrière, qui exigent des années de dur labeur dans des villes coûteuses, avec des horaires de folie sous la houlette de personnes qui pensent que vous devez "faire vos preuves". Parallèlement, il existe de nombreux autres emplois au potentiel moins glamour qui peuvent finalement vous offrir un style de vie plus heureux. Et c'est quelque chose que de plus en plus de personnes commencent à envisager. "J'ai ces deux désirs contradictoires : avoir un travail qui est excitant et épanouissant et qui me semble important, et avoir un travail qui me permet de vivre dans un lieu qui me rend heureuse, et éventuellement d'avoir des enfants, et de ne pas avoir à craindre les urgences ou les dépenses quotidiennes comme mes parents l'ont fait quand j'étais petite", raconte Lindsay, 22 ans, journaliste à New York.
"Je me rends compte que j'ai perdu beaucoup de temps dans ma jeunesse que j'aurais pu consacrer à une expérience universitaire intéressante à faire des stages, et à travailler à temps partiel le soir et le week-end", explique Kayla, 25 ans, qui vit à Philadelphie et travaille dans le secteur de la mode. "On m'a tellement répété que l'industrie de la mode et le marché du travail en général étaient une jungle impitoyable que je n'ai jamais pris de recul pour donner la priorité à ma vie en dehors de ma carrière. Je me demande également si le fait d'être passionnée par ce que je fais ne m'a pas desservi en me mettant dans une situation plus vulnérable et a contribué à être moins payée malgré ma grande expérience".
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De nombreux travailleurs désenchantés en arrivent à la conclusion qu'ils veulent vivre une vie où ils travaillent plutôt que de vivre pour travailler. Mais il peut être difficile d'admettre que le travail que l'on pensait être un rêve est en réalité un cauchemar ambulant, surtout si l'on a déjà investi des années de dur labeur et de gros frais de scolarité pour y parvenir. Le coronavirus et la crise économique qui en résulte ont toutefois accéléré ce processus pour de nombreuses personnes, en particulier dans les secteurs où la pandémie a entraîné d'importantes suppressions d'emplois. Mais même pour celles et ceux qui sont encore en poste, les événements de cette année nous ont obligés à réévaluer ce qui est vraiment important dans la vie.
"J'ai quitté un "job de rêve" dans l'industrie musicale pour lequel je travaillais dix heures par jour pour 17 dollars (14,40 €) de l'heure, sans aucun avantage", explique Jules, 25 ans, qui cumulait deux autres emplois pour payer ses factures à Los Angeles. Elle a été licenciée il y a quelques mois pour cause de coronavirus, et n'a pas l'intention de retourner travailler dans ce domaine. "J'ai été en mesure de travailler à d'autres postes, et c'est fou de voir à quel point ma santé mentale s'est améliorée maintenant que je travaille moins et gagne plus. Mais c'est bizarre de regarder tous ses héros et de se dire : "Merde, je ne veux pas de la vie que vous vivez maintenant, ni celle que vous avez vécue pendant 20 ans".
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Un grand nombre des facteurs qui conduisent à cette désillusion sont, sans surprise, liés au genre. Selon une étude de Cigna datant de 2019, les femmes sont plus stressées au travail que les hommes. Le fait que la plupart des lieux de travail ne soient toujours pas conçus pour que les femmes, et surtout les femmes de couleur, réussissent, n'aide pas. Et pourtant, nous sommes tous censés continuer à faire des efforts.
Alison Green, experte en développement de carrière, du blog Ask A Manager , affirme qu'il peut être utile de reconceptualiser ce qui fait rêver dans un emploi. Il ne s'agit peut-être pas de travailler pour une grande entreprise, d'avoir un titre prestigieux ou d'obtenir de nombreux avantages, mais plutôt d'évoluer dans un environnement qui vous offre une certaine flexibilité ou qui vous permet de vous sentir valorisé. "Parfois, un emploi dont on pensait qu'il n'aurait rien de spécial se transforme en un emploi de rêve après un certain temps - si l'entreprise traite bien ses employés, que le manager et les collègues sont formidables et que le travail est épanouissant", explique-t-elle. De nombreux jeunes chercheurs d'emploi semblent déjà tenir compte de ce conseil : un rapport de Pentegra datant de 2018 note que ce que les millennials (et probablement aussi la génération Z) attendent le plus d'un emploi n'est pas nécessairement un salaire élevé, mais des horaires flexibles, la possibilité de travailler à distance et des retours réguliers sur leurs performances.
Il est libérateur de se débarrasser de l'idée que toute forme de travail puisse un jour ressembler à un rêve. Cela nous permet de nous représenter concrètement les autres choses que nous voulons et dont nous avons besoin et, plus important encore, de les défendre sans avoir l'impression d'être ingrats. Et pendant que nous y sommes, il serait peut-être bon de revoir tous ces vieux films qui nous ont donné des attentes irréalistes sur le monde du travail. Après tout, si vous ne pouvez pas reconnaître à quel point vous êtes malheureu·se·x au travail sans, par exemple, être miraculeusement retourner à vos 13 ans ou pousser un mec à rompre avec vous pour le bien d'un article - ou quoi qu'il soit arrivé à votre personnage de comédie romantique préféré sur sa route vers le succès - alors peut-être que votre vie professionnelle n'est pas vraiment quelque chose à laquelle nous devrions aspirer.
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