Il y a des jours où la procrastination nous touche tou·s·tes. Vous vous réveillez, en pensant à un projet au travail ou à l'administration de votre quotidien que vous ne pouvez plus remettre à plus tard, et vous sentez une boule d'angoisse dans votre poitrine. Vous savez que vous devez vous en occuper aujourd'hui, mais vous commencez à tourner en rond et vous vous retrouvez à nettoyer la poubelle en profondeur au lieu de répondre aux e-mails ou à regarder des bêtisiers de sitcoms au lieu d'enfiler vos chaussures de course. Le fait de remettre les tâches à plus tard est une perte de temps et un acte stupide, mais cela semble parfois inévitable.
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Le mot "procrastination" a des racines historiques profondes. Il dérive du latin "procrastinare", qui signifie "remettre au lendemain", mais aussi du grec ancien "akrasia", qui signifie "agir à l'encontre de son meilleur jugement". L'étymologie indique que lorsque nous procrastinons, nous sommes bien conscient·e·s de ce que nous faisons, ce qui implique que les conséquences négatives de ce retard reposent uniquement sur nos épaules. Et pourtant… nous le faisons quand même.
La question de savoir pourquoi la procrastination se produit - et pourquoi elle peut sembler faire partie intégrante de notre quotidien - est une question qui taraude les gens depuis des siècles. On suppose généralement que ce comportement est dû à une incapacité à se maîtriser d'une manière ou d'une autre : la combinaison d'une mauvaise gestion du temps, de la flemme et d'un manque de maîtrise de soi nous pousse à procrastiner. En d'autres termes, c'est parce que l'individu ne fait pas assez d'efforts. Il ne s'agit pas seulement d'une hypothèse culturelle, mais aussi d'une hypothèse explorée par de nombreux chercheurs et institutions, avec des études telles que celle de l'University of Valencia qui a révélé que quel que soit le temps que l'on donne aux étudiant·e·s pour faire leur travail, la procrastination se produira très probablement.
Toutefois, un nombre croissant de chercheurs s'opposent à cette opinion. Le Dr Tim Pychyl est l'auteur du célèbre livre The Procrastinator's Digest : A Concise Guide to Solving the Procrastination Puzzle et l'auteur de la chronique Don't Delay de Psychology Today. Il pense que la procrastination est bien plus profonde - qu'elle est influencée par la biologie, notre perception du temps et notre capacité à gérer nos émotions.
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If you often procrastinate, open this
— BIG DADDY (@Daddyvinz1) May 17, 2021
Sur le plan biologique, la procrastination se résume à une tension permanente dans notre cerveau entre le système limbique et le cortex préfrontal, selon le département de neurochirurgie du centre médical de l'University of Pittsburgh.
Le système limbique est un important réseau cérébral primordial et l'une des parties les plus anciennes et les plus dominantes du cerveau. Il prend en charge diverses fonctions, dont les émotions - notamment celles qui ont évolué très tôt et jouent un rôle important dans la survie. Cela inclut les sentiments de motivation et de récompense, l'apprentissage, la mémoire, la réaction de combat ou de fuite, la faim, la soif et la production d'hormones qui aident à réguler le système nerveux autonome.
D'autre part, votre cortex préfrontal est lié à la planification de comportements cognitifs complexes, à l'expression de la personnalité, à la prise de décision et à la modération du comportement social. C'est là que se concentrent les décisions, la planification prospective et la rationalisation du comportement impulsif, basé sur les stimuli, du système limbique. Le cortex préfrontal étant la partie la plus récente et la moins développée (et donc un peu plus faible) du cerveau, la réponse instinctive du système limbique l'emportera souvent sur la rationalisation.
Tout cela renvoie à la psychologie qui est au cœur de la procrastination : ce qui nous fait du bien maintenant (comme éviter ou retarder des tâches) a une plus grande emprise sur nous que ce qui nous fait du bien à long terme. Comme le Dr Pychyl l'a expliqué au New York Times : "La procrastination est un problème de régulation des émotions, pas un problème de gestion du temps".
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L'article du NYT explique qu'il s'agit d'un exemple de "biais du présent" : notre tendance à privilégier les désirs et les besoins à court terme par rapport aux besoins à long terme, même si la récompense à court terme est bien moindre. Cela alimente une déconnexion plus large entre le soi présent et le soi futur et notre perception du temps. Nous avons du mal à nous connecter à notre futur soi (c'est-à-dire à celui qui bénéficierait du fait que nous sortions les poubelles en temps voulu) ou à le considérer comme "nous" alors que le "nous" d'aujourd'hui a des préoccupations bien plus immédiates et urgentes.
Pychyl et sa collaboratrice, le Dr Fuschia Sirois, pensent que la procrastination est essentiellement liée à une incapacité à réguler nos émotions, ce qui se traduit par la manière dont nous privilégions le soulagement à court terme à la satisfaction à long terme. Remettre une tâche à plus tard vous fait du bien à court terme car cela vous soulage d'émotions largement négatives : stress, panique, dégoût, anxiété, doute de soi, etc. Les conséquences à long terme n'ont pas grand-chose à voir avec la sensation agréable que l'on peut ressentir lorsqu'on est distrait·e ou absorbé·e par quelque chose qui n'a rien à voir avec le gros travail qui vous fait paniquer. Cependant, comme tous les procrastinat·eur·rice·s peuvent en témoigner, ce soulagement est de courte durée, ce qui entraîne la répétition du cycle.
Que pouvez-vous donc faire si vous êtes enclin à la procrastination ? Comme pour toute chose, en particulier les actions qui régulent vos émotions, vous ne pouvez pas vous arrêter et espérer que cela fonctionne. Si vous n'apprenez pas à réguler vos émotions par d'autres moyens, moins destructeurs, la tentation de la procrastination se manifestera à nouveau.
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Reconnaître que la procrastination n'est pas un acte de paresse mais un outil de régulation émotionnelle peut s'avérer extrêmement utile, selon Pychyl. Il s'agit d'une étape vers le pardon et l'autocompassion pour la procrastination, deux éléments qui se sont avérés utiles pour les procrastinat·eur·rice·s : dans une étude de 2010, des chercheurs ont constaté que les étudiant·e·s qui se pardonnaient de remettre à plus tard l'étude d'un examen étaient capables de moins remettre à plus tard les examens suivants. Une autre étude, datant de 2012, a examiné les liens entre la procrastination, le stress et l'autocompassion. Elle a révélé que des niveaux plus faibles d'autocompassion (c'est-à-dire le fait de se traiter avec bienveillance et compréhension lorsque l'on fait des erreurs) peuvent expliquer une partie du stress ressenti par les procrastinat·eur·rice·s. Vous pouvez commencer à exploiter l'autocompassion en suivant des méditations guidées ou simplement en vous engageant à relever les défis avec bienveillance et compréhension.
Voir la procrastination sous cet angle peut également aider à lutter contre l'envie d'attendre jusqu'à ce que l'on se sente "prêt·e" à accomplir une certaine tâche, comme l'a expliqué Pychyl au Washington Post. Une fois que nous pouvons voir comment nos émotions ont façonné notre réaction à une tâche, il est plus facile de ne pas laisser nos sentiments nous dicter si nous pouvons ou non nous mettre au travail. Vous n'avez pas besoin d'être dans le bon état d'esprit pour commencer à travailler, à nettoyer ou à étudier. Au lieu de se concentrer sur les sentiments, Pychyl recommande de décomposer une tâche en petits éléments qui peuvent réellement être accomplis. Cela peut être aussi simple que d'écrire la première phrase, dépoussiérer une surface ou fermer tous les liens distrayants que vous avez ouverts.
La procrastination fait partie de la vie. Son impact peut aller d'une légère irritation à un changement de vie, mais la principale chose à retenir est qu'elle ne peut être combattue par l'autoflagellation. En trouvant des moyens de vous pardonner dans l'instant et d'être indulgent·e envers votre futur soi, vous pouvez lentement vous débarrasser de cette habitude.
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