Cette année ma bonne résolution, c'était de commencer à me lever tôt. Vous remarquerez l’usage du passé dans cette phrase. Pas plus de 4 jours plus tard, j’étais de nouveau levée à 11 h, après une nuit passée à me dire « tiens, je vais juste écrire ça histoire de ne pas oublier ». Ça m'a mis hors de moi et je me suis mise à pester que je n’étais qu’une [insérez votre juron préféré] de paresseuse. Je ne pouvais m’empêcher de penser à tous ces articles qu'on voit partout et qui nous disent que les personnes qui réussissent le mieux dans la vie se lèvent à 4 heures, et à ces agendas de productivité qui semblent tous commencer par une séance de yoga dès 6 h du mat'.
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Pour m’aider à me sentir mieux, j’ai fait une recherche sur Google pour trouver quelques lève-tard qui ont réussi. Voici les trois premiers résultats : Hunter S. Thompson, qui se réveillait à 15 heures et commençait sa journée avec un petit-déjeuner à base de cocaïne et qui a fini par se suicider ; René Descartes, qui trainait au lit jusqu’à 11 heures, mais qui a vécu au 17e siècle, ce qui n’est pas forcément d’une grande pertinence pour notre époque ; et Mark Zuckerberg, qui admet « courageusement » se lever à 8 heures — ce qui n’est pas exactement tard, soyons d'accord. Il y a aussi l'histoire de Barack Obama qui serait un oiseau de nuit parce qu'il se couche tard. Il veille peut-être jusqu’à minuit, mais bon, il se lève tout de même à 7 heures le lendemain. Dans un moment de déprime, j’ai publié un tweet demandant si des oiseaux de nuit qui ont réussi (lisez : productifs) pouvaient se faire connaître, et en attendant qu’ils le fassent, j'ai simplement décidé d’ignorer mon agenda (même si j'étais déjà très en retard sur mon planning) pour continuer mes recherches sur les oiseaux de nuit.
Il s’avère qu’il y a très peu de différences en termes de succès mesurable entre ce que les scientifiques appellent la « chouette » et l’ « alouette », cette dernière faisant référence à une personne du matin (ce n'était peut-être pas la peine de le préciser, mais il est 4 heures et je commence à fatiguer). Certaines études montrent que les chouettes sont sensiblement plus intelligentes, mais d'autres montrent que les alouettes sont plus persistantes, agréables et moins enclines à la procrastination. Certains ont découvert que si les alouettes sont plus heureuses, elles ne sont pas nécessairement plus riches ni plus sages. J'ai aussi trouvé un article intitulé « Les noctambules meurent plus tôt », que j'ai préféré ne pas lire.
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Le fait est que cela dépend non seulement de l'individu, mais aussi de la nature de son travail. Bien sûr, les personnes qui ont le plus de « succès » (les chefs d'entreprise qui, partis de rien, sont maintenant à la tête d’énormes sociétés) se lèvent à 5 heures du matin. Ils doivent garder un temps d’avance sur le monde du travail, qui opère entre 9 et 17 heures. Mais une nouvelle étude montre à quel point ces horaires peuvent être préjudiciables pour les oiseaux de nuit. Selon les scientifiques du Centre for Human Brain Health de l'Université de Birmingham, les noctambules ne s’en sortent pas très bien dans un monde où règnent les 9-17 h : leur cerveau fonctionne plus lentement en journée, il leur est plus difficile de se concentrer et ils ont un temps de réaction plus lent. C’est autour de 20 heures qu’ils commencent à s’activer, heure à laquelle le reste du monde est déjà chez lui devant sa série préférée. Je suis auteure et humoriste indépendante. Je n'ai donc pas besoin de me lever à 5 heures du matin pour m'entrainer avant l’ouverture de la bourse du Japon (comme vous le remarquerez, je n’ai aucune idée du fonctionnement du monde de l’entreprise). J’éprouve un malin plaisir à travailler quand tout le monde dort, parce que cela me permet de ne pas être constamment distraite par ce monde, pour lequel les PDG se lèvent tôt.
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La pression pour se lever tôt est telle que j’ai l’impression de cacher un secret honteux. Ce qui nous amène à nous demander : si nous sommes si nombreu·x·se·s, pourquoi nous sentons-nous tellement coupables ?
Scarlett Curtis
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Je dis un malin plaisir parce que, même si je respecte mes échéances et que j’ai des journées bien remplies, je culpabilise tout de même de ne pas parvenir à respecter les mêmes horaires que je le reste du monde. Horaires qui en réalité ont simplement été mis en place en 1914, quand l'usine Ford s'est rendue compte que si elle réduisait le nombre d'heures de travail des ouvriers (qui était de 10 à 16 heures par jour à l’époque) à 8 heures par jour, de 9 à 17 heures, cela permettait de réduire le nombre de morts pour cause d’épuisement. Cela a fonctionné, ce qui est super, mais je ne travaille pas à l’usine. Et je ne vis pas non plus en 1914. Je ne suis d’ailleurs pas la seule : 42 % des personnes employées au Royaume-Uni ont déjà adopté le flexi-travail (que ce soit les horaires de travail réduits ou de partage du travail) et on s'attend à ce que la moitié de la force de travail travaille à distance d’ici à 2020. Des études ont également été menées sur les horaires de classe. Une étude de 2017 montre que commencer les cours à 10 h réduisait de moitié le nombre de cas de maladie chez les étudiants et augmentait leur productivité.
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C’est bien beau toutes ces statistiques, mais ce n’est pas pour autant que je me sens moins seule quand ma journée commence une fois de plus à midi et se termine à l’heure du diner, quand j’aurai trop faim pour continuer à travailler. C'est là que Twitter entre en jeu.
Lorsque j'ai vérifié s’il y avait des réponses à mon tweet sur les oiseaux de nuit, j’ai été submergée par les centaines de réponses reçues. C'est ma lecture la plus réjouissante depuis l’étude sur les chouettes qui seraient plus intelligentes. Nat Luurtseema, une scénariste, auteure et réalisatrice dont on attend les quatrièmes et cinquièmes livres en 2020, a tweeté qu'elle « ne se lèverait pas à 6 h 30, même si mon lit était en feu », ajoutant plus tard : « Je me lève à 8 heures lorsque mon copain part au travail et je feins la bonne humeur. Dès qu’il passe la porte, je retourne me coucher pour deux bonnes heures. »
Samantha Baines, auteure de deux livres et animatrice de l'excellent podcast Periods: Amazing Women in History m'a répondu : « Je suis très productive le soir et l'après-midi, alors pourquoi dormir pendant mes heures les plus productives !? » et Rose Matafeo, une humoriste qui a remporté le prix de la meilleure comédie au Festival Fringe d’Edimbourg l’année dernière et qui travaille actuellement sur une myriade de projets télévisés, a simplement partagé : « Si je me lève avant 10 heures, il y a de quoi s'inquiéter. »
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Cela concerne pas uniquement les écrivain·e·s et les créatif·ve·s. J'ai reçu des messages de scientifiques qui « n’arrivent jamais au laboratoire avant 10h30. » Des responsables développement commercial qui n’ont jamais fait une vente avant 11 h 30 ("JAMAIS"). Un gardien de phare (!) est entré en contact avec moi pour me dire qu'il commençait le travail « quand le soleil se couche » et une cheffe de restaurant a tweeté qu'elle commençait habituellement à 10 heures et qu'elle ne pourrait jamais, mais alors jamais, devenir cheffe de petit-déjeuner. « Ces temps, il est rare que je sorte du lit avant midi », a déclaré Howard Chu, un ingénieur informatique à qui l’on doit la base de données transactionnelle intégrée la plus petite, la plus rapide et la plus fiable au monde. « Cela n’a pas d’importance : la programmation de logiciels n'a pas d’horaires ! » Les commentateurs de cricket non plus, comme l’a souligné Geoff Lemon dans son tweet : « Heureusement pour moi, la plupart des joueurs de cricket ne commencent pas avant 11 h », ajoutant qu’il comptait à son actif « trois livres et des centaines d’articles presque exclusivement rédigés entre 22 h et 4 h ». Les partenaires qui possèdent la marque de mode durable RILKA m'ont avoué à quel point se réveiller tôt affectait leur santé mentale « mais on est quand même très productifs ». Il y avait aussi les gens qui ont simplement répondu, « C'est du moi tout craché, » « Quand je me lève tard, je me sens vraiment coupable, même si je suis productive ! » dit Scarlett Curtis, auteure et activiste dont le livre Les féministes ne portent pas de rose et autres mensonges vient de paraître. « La pression pour se lever tôt est telle que j’ai l’impression de porter un secret honteux. Ce qui nous amène à nous demander : si nous sommes si nombreu·x·se·, pourquoi nous sentons-nous tellement coupables ?
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Qu’est-ce que cela peut bien faire que vous vous leviez quand d’autres sont déjà au bureau ? Pour aller de l’avant il faut travailler dur et prendre soin de soi.
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C’est dans la nature humaine de se conformer. Pour certains plus que pour d’autres. Mais d’une manière générale, on ne réalise pas dans quelle mesure notre besoin d’appartenance influe sur notre santé mentale ; nos ancêtres dépendaient du concept de communauté pour survivre, car l’appartenance à un groupe réduisait le risque de mourir de faim ou celui d’être mangé par un tigre. Il y a peu de chance que ça arrive de nos jours, mais lorsqu’un environnement change de manière drastique si rapidement, le cerveau a besoin d’un certain temps pour s'adapter, ce qui explique le sentiment primaire d’isolation que je ressens à chaque fois que je me lève, consciente que le reste du monde en est déjà à l’heure du déjeuner. C'est un instinct de protection, qui a fonctionné à l'époque, mais qui pourrait causer de graves complications de nos jours. Cela explique en partie l'article sur Les noctambules meurent plus tôt que j'ai mentionné plus haut. Il semblerait en effet que nous courions un risque plus accru de complications que je m'abstiendrai d'évoquer tellement c'est déprimant, mais vous pouvez en lire davantage ici si ça vous chante.) Mais on n'a pas encore découvert la corrélation. Les chercheurs pensent que cela pourrait être parce que les chouettes sont forcées de vivre au rythme des alouettes, se trouvant privées de sommeil sans raison. Une autre théorie avance que les horaires suivis par les chouettes, impliquent une plus grande propension à l’automédication et à la consommation d’alcool et de drogues, en s’appuyant sur une autre étude établissant un lien entre chouettes et dépression.
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Durant mes études universitaires, j’ai trouvé la flexibilité et la liberté de me lever quand je le souhaitais déroutante. Plutôt que d’accepter ma différence avec mes voisins de palier qui se levaient régulièrement à 5 h pour faire du sport, j’ai essayé de lutter contre ma nature et j’ai doucement sombré dans un gouffre de mépris de moi-même. Résultat des courses : j’ai été incapable de sortir de mon lit pendant deux semaines, j’ai tenté de me suicider et j’ai abandonné mes études. J’avais évidemment des problèmes autres que le fait de faire la grasse matinée, mais la culpabilité de me lever tard m’a empêché d’aller mieux, car cela confirmait que la voix dans ma tête avait raison. Cela prouvait que j’étais plus paresseuse que les autres. Que j’étais stupide. Que je ne réussirai jamais. Ce sentiment est encore présent aujourd'hui quand j’appuie sur la touche « snooze » de mon réveil pour la 15e fois, même le dimanche. Il est temps que ça s’arrête !
« Qu’est-ce que cela peut bien faire que vous vous leviez quand d’autres sont déjà au bureau ? Pour aller de l’avant, il faut travailler dur et prendre soin de soi - cela ne veut pas dire se punir dès le matin, parce qu’un PDG se réveille à la première heure dans sa ravissante maison pour prendre son délicieux petit-déjeuner et qu’il aime ça. »
J'aimerais graver cette citation dans ma tête. La science ne sait pas tout, mais elle en sait assez pour identifier deux types de personnes. Pas un bon type et un mauvais type, mais simplement deux types différents. Si vous êtes une chouette, rien ne sert de se comparer. Votre cerveau est incapable d’y arriver, pour une raison qu’on ignore encore. Organisez votre vie de manière à être la meilleure version de vous-même, plutôt que celle que vous souhaiteriez être. En résumé : soyez la meilleure des chouettes. Il est temps prendre votre envol et de profiter de la lune.
Pour ma part, j’ai décidé de changer ma résolution. Plutôt que de me lever tôt, je vais tenter d’être plus productive et surtout, plus indulgente envers moi-même, je vais suivre ma propre horloge et je vous conseille d’en faire de même.