Venons-en au fait. Ces derniers jours... semaines... mois ont été particulièrement éprouvants pour tout le monde.
Pour beaucoup, travailler en pleine pandémie mondiale n'a pas été chose facile. Pour celles et ceux d'entre nous qui ont eu la chance de pouvoir continuer à travailler de chez eux, il a tout de même fallu se rendre présentables pour des réunions virtuelles non-stop, et apprendre à être productifs alors que les frontières entre nos vies personnelles et professionnelles continuaient à se brouiller. On est à court de bonnes séries à streamer, d'Instagram live à regarder, de recettes à cuisiner. On se sent perdu et on a peur. On ne sait pas quand tout ça sera fini.
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Mais il y a le récit de deux confinements. Car si certain·es se sont laissés envoûter par les recettes de banana bread, d'autres ont dû se débrouiller pour survivre à une pandémie dans un pays où ils n'étaient pas censés vivre.
Au cours des derniers mois, les Noir·es ont non seulement vu leurs ami·es et les membres de leur famille mourir du coronavirus à un rythme accéléré, mais ils ont également vu des personnes qui leur ressemblaient se faire abattre alors qu'elles allaient faire leur jogging, être assassinées dans leur propre maison, menacées alors qu'elles observaient les oiseaux dans Central Park, et impitoyablement asphyxiées devant les caméras.
Et pourtant, jour après jour, on se sort du lit, on répond à nos e-mails. On se montre avec le sourire et on met notre douleur et nos peurs de côté. On ravale notre colère en répondant à nos boss, on propose notre aide et on travaille deux fois plus dur pour deux fois moins - parce que c'est tout ce qu'on sait faire.
Mais voici un scoop pour toutes les personnes blanches qui ne l'auraient pas déjà deviné : vos collègues noir·es ont peut-être l'air d'aller bien en ce moment, mais il y a de fortes chances pour que ce ne soit pas le cas.
La probabilité pour que votre collègue noir·e ait perdu un membre de sa famille à cause de la Covid-19 est douloureusement élevée. La probabilité pour que votre collègue noir·e ait été traumatisé par la vidéo virale d'Amy Cooper, où l'on voit une femme blanche qui utilise la couleur de peau et les privilèges qui viennent avec pour menacer un homme noir. La probabilité pour que votre collègue noir·e ait peur d'aller courir, ou soit terrifié·e lorsque son mari quitte la maison, ou soit simplement enragé·e par les mensonges incessants que ce pays ne cesse de nous raconter sur l'égalité des libertés est si élevée qu'il vous faudra une échelle pour en descendre.
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Et pourtant, cette personne a répondu à votre e-mail passif et agressif, et elle a gardé le sourire quand vous lui avez posé des questions condescendantes. Ou encore, elle a trouvé la force de se sortir du lit et de se montrer tout simplement. Chaque jour, nous, les Noir·es, encaissons le traumatisme personnel que nous savons tous être vrai et le mettons de côté pour protéger les Blanc·hes qui ignorent qu'il est presque impossible de continuer à vivre quand on sait que sa grand-mère ne survivra pas au coronavirus à cause d'une maladie pré-existante. Il est difficile d'être au mieux de sa forme quand on voit des femmes blanches feindre la terreur au téléphone avec la police dans l'espoir que celle-ci se déplace. C'est encore plus difficile de voir ces flics tuer cet homme noir sur une vidéo, et les tueurs ne sont pas toujours des policiers.
Mais on va quand même travailler. On ravale notre rage, nos larmes, notre peur et notre tristesse. On échange des messages dans des groupes de discussion. On envoie des articles qui reflètent nos sentiments. On publie, reposte et retweete sur les réseaux sociaux. Mais on n'emporte pas notre souffrance au travail.
Alors, même si vous êtes confronté·es à cette pandémie qui a ravagé notre mode de vie - et qui a coûté la vie à tant de personnes prématurément, quelle que soit leur origine ethnique - reconnaissez le fardeau qui repose de manière disproportionnée sur vos collègues noir·es. Et sachez qu'ils ne le montreront jamais. Ils savent trop bien comment se comporter dans leur monde pour cela. Et bien qu'on nous ait dit que les diplômes, les emplois et les réalisations nous protégeraient d'une manière ou d'une autre d'être traités comme des citoyens de seconde zone ; bien qu'on nous ait fait croire que travailler dur et être un membre actif de la société signifiait que celle-ci nous traiterait comme des êtres humains, nous avons appris la douloureuse vérité - c'est faux.
Au nom de vos collègues noir·es : nous n'allons pas bien. Et ça devrait aussi être votre cas.
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